Un autre pain est possible
Le pain, autrefois base de l’alimentation, est aujourd’hui un accompagnement, le plus souvent insipide et dédaigné, lorsqu’il n’est pas banni de la table pour cause d’intolérance au gluten. Cet aliment à première vue banal se révèle chargé de sens et d’histoire lorsque des boulangers, conscients que le pain doit être une nourriture non seulement pour le corps mais aussi pour l’esprit, accordent aux étapes de fabrication l’attention et le temps nécessaires, sans souci de productivité, et remettent en valeur d’anciennes variétés de blé originaires de nos régions. Chacun produit un pain qui raconte une quête personnelle et le choix d’une vie scandée par la métamorphose de la graine par l’eau et le feu.
Patron d’une boulangerie "moderne" pendant 15 ans, Marc Haller a craqué, épuisé par une course sans répit au rendement qui se termine par un divorce et l’arrêt brutal de son activité de boulanger. C’est sur le chemin de St Jacques de Compostelle qu’il réapprend la lenteur et  découvre, au hasard de ses pas, la richesse des qualités nutritives d’un pain au levain. Un long cheminement l’a conduit à trouver un autre rythme de travail et surtout à produire un pain qui, dit-il, lui ressemble enfin. Contempler les variétés anciennes de blé qui mûrissent sur les terres de Cédric Chezeaux et se retrouveront dans son pétrin est une composante essentielle du bonheur reconquis.
Sociologue, marqué par son initiation à l’aïkido dans sa jeunesse, André Isenegger a trouvé dans le pain un accomplissement, une possibilité de vivre null plus pleinement le présent. Une autre façon de pratiquer l’aïkido dans le corps à corps avec la pâte et la concentration sans relâche qu’exige son four à bois. Un choix qui rompt avec un destin tout tracé et l’a conduit dans un lieu de vie inspirant, à proximité du couvent de la Valsainte dont certains matériaux qu’il a pu récupérer lui ont permis de construire de ses mains sa petite boulangerie, ouverte un jour par semaine.
Stéphane Rumpf se définit comme semeur de graines et faiseur de pains. A la fois paysan, meunier et boulanger, c’est par l’attention qu’il accorde à la terre, aux graines, par l’écoute des meules de son moulin, par les sensations que lui transmettent ses mains dans  la pâte qu’il aboutit à un pain qui nourrit dans tous les sens du terme. Une maîtrise exigeante de toutes les étapes, du semis de la graine jusqu’à la sortie du four. Une démarche intuitive et militante.
Un reportage de Nicole Weyer