Le ginseng est aujourd'hui une des stars incontestées de la phytothérapie. [Keystone]

Ginkgo et ginseng: de la poudre aux yeux !

Utilisées dans la médecine chinoise depuis 5000 ans, ces deux plantes sont aujourd’hui les stars incontestées de la phytothérapie. ABE a cherché à savoir quels effets leur sont scientifiquement reconnus et a examiné d'un peu plus près leur composition.


Sur le marché des plantes médicinales, il existe trois stars incontestées: le ginkgo, le ginseng et... l’ail. Ce sont, dans cet ordre, les plantes les plus vendues en Europe. L’ail, tout le monde connaît: si son parfum l’écarte a priori de la liste des aphrodisiaques, il paraît que c’est bon pour la circulation sanguine. Et sans lui, le gigot et la fondue ne mériteraient par leur nom. Par contre, le ginkgo et le ginseng sont nettement plus exotiques. Ces deux plantes n’ont aucune valeur culinaire. Mais à en croire les promesses de certains fabricants de phytomédicaments, elles seraient efficaces contre la plupart des maux dont souffre l’homme moderne: stress, fatigue, manque d’énergie, perte de mémoire, pannes sexuelles, etc. Bref, de véritables remèdes miracles. C'est ce que nous avons voulu vérifier. Et si on les confond souvent, le ginkgo et le ginseng n’ont pourtant strictement rien en commun. Il s’agit de plantes totalement différentes. La seule caractéristique qu'elles partagent est leur origine asiatique. Et ce qui les a fait connaître à l'occident, c'est la médecine chinoise.
Arbre de résistance
Dans la médecine traditionnelle chinoise, la maladie est toujours l’expression d’un déséquilibre entre les différentes énergies qui régissent le corps. Pour rétablir ces équilibres, la technique la plus connue en occident est certainement l’acupuncture. Moins familier, en revanche, est l’usage qui est fait des médicaments à base de plantes. Sur le plan de l’herboristerie, la pharmacopée chinoise est extrêmement riche et certaines essences sont prescrites depuis au moins 5000 ans. C’est le cas, par exemple, du ginkgo. "On l’utilise pour les gens qui ont une mauvaise circulation du sang, par exemple dans le cerveau: manque de mémoire, mal de tête, vertiges, manque de concentration, etc.", explique le Dr. Ma Fan. Praticienne établie à Lyon, elle donne également des cours de médecine chinoise à Lausanne. "Le ginkgo symbolise la profondeur, parce que les racines du ginkgo sont assez profondes. Et puis, c’est une herbe qui vit très longtemps. Elle est donc aussi symbole de longévité", poursuit-elle.
Le ginkgo est un arbre capable effectivement de vivre plus de 1000 ans. Il est apparu sur terre il y a 200 millions d’années, à l’époque des dinosaures, ce qui fait de lui la plus ancienne plante vivante sur la planète. Longtemps, l'occident n’en a connu que des fossiles. Mais en 1691, un voyageur allemand découvre par hasard la plante dans un temple du nord de la Chine. Depuis, l’arbre a conquis de nombreuses villes partout dans le monde, notamment en raison de son étonnante capacité de résistance à la pollution. L’exemple le plus frappant de cette résistance se trouve à Hiroshima. Le printemps suivant l’explosion de la bombe atomique, une souche carbonisée située à 800 mètres du point d’impact s’est mise à verdir. Aujourd’hui, l’arbre est toujours visible dans le Memorial Park de la ville.


Vertus miracles ?



Autre symbole: le ginseng. En chinois, on l’écrit avec les idéogrammes signifiant homme et racine. "La forme du ginseng ressemble à un homme", souligne le Dr. Ma Fan. "D'ailleurs, le meilleur ginseng ressemble toujours à un homme, avec la tête, le corps, les mains et les jambes". Le ginseng est la racine d’une plante de la famille du lierre. Sa cueillette intensive l’a pratiquement fait disparaître de la nature. Si bien qu’aujourd’hui, le marché est alimenté par des cultures situées principalement en Chine et en Corée. La plante est très délicate. Pour la cultiver, il faut reproduire la lumière du sous-bois dans une forêt de montagne. La racine n’est récoltée qu’à l’âge de 5 ou 6 ans. "On l’utilise surtout, soit pour les personnes âgées qui ont besoin de tonique, soit pour les gens qui ont vécu une grande maladie: opération, maladie chronique, etc.", poursuit Mme Ma Fan. "On le prescrit également aux gens qui suivent une chimiothérapie ou une radiothérapie: là, cela va aider les défenses du corps. Mais à la suite d'une prise de ginseng, certaines personnes n'arrivent plus à dormir, parce qu'elles ont trop d’énergie Yang. Or, la nuit est associée au Yin. Il faut donc éviter l’énergie Yang. En l'occurrence, le ginseng est donc contre-indiqué".
Même si les notions de Yin et de Yang sont étrangères à notre médecine occidentale, on ne peut nier que le savoir médical issu de la Chine ancienne titille notre imagination. En tout cas, c'est un bon argument de marketing: aujourd’hui, les produits dérivés du ginseng représentent un chiffre d’affaires mondial de 2,7 milliards de dollars, et ceux du ginkgo de 1 milliard, soit à eux deux un bon tiers de l’ensemble du marché des médicaments à base de plantes. Mais au delà de ce succès commercial, quelle valeur ses produits ont-ils aux yeux de notre médecine cartésienne ?


Molécule dans une botte de foin



Chaque plante est une usine chimique. C’est sur la base de ce constat que l’Institut de Pharmacognosie de l’Université de Lausanne s’est spécialisé dans l’étude des plantes médicinales. Le but: découvrir de nouvelles molécules parmi les savoirs des herboristes du monde entier. Son directeur, le Pr. Kurt Hostettmann, s'en explique: "Dans certaines cultures, les plantes médicinales ont été très peu étudiées jusqu’ici. Or, elles sont utilisées depuis très longtemps, comme en Afrique, par exemple, où le savoir se transmet de guérisseur en guérisseur. Par contre, en Chine, le problème est tout à fait différent: il existe de vieilles pharmacopées chinoises qui datent de 5000 ans. Et en raison de ces documents écrits, on en sait beaucoup plus sur la médecine traditionnelle chinoise. C’est pour cela qu’elle a fait plus rapidement son entrée dans notre arsenal thérapeutique".
Pour savoir si la plante utilisée par un guérisseur contient une molécule intéressante, la recherche est extrêmement longue et complexe. Une plante peut contenir jusqu’à 10'000 substances actives, parmi lesquelles il s’agit d’identifier la molécule utile. Sur la planète, il existe environ 500'000 plantes différentes. Et 90% n’ont pas encore été étudiées sur le plan pharmacologique. Mais ce n’est pas le cas du ginkgo et du ginseng puisque, depuis 30 ans, des dizaines d’études ont été effectuées pour en comprendre les effets. "Pour le ginseng, l’indication principale est la résistance à la fatigue et au stress. Cette indication est reconnue par différents tests pharmacologiques effectués sur des animaux, mais aussi par des tests cliniques effectués sur des hommes", poursuit le Pr. Hostettmann. "Quant au ginkgo, il est particulièrement indiqué pour les personnes âgées qui souffrent de problèmes de circulation cérébrale, ce qui signifie qu'il améliore aussi, entre autres, la mémoire".
A savoir que l'on prête souvent au ginseng des vertus aphrodisiaques. Or, sa seule propriété reconnue, tant par la médecine chinoise que par la nôtre, est d’augmenter la résistance à la fatigue. En la matière, cela peut toujours être utile, mais cela n’a aucun effet vasodilatateur...
En définitive, on connaît encore bien peu de choses des effets des substances actives que contiennent tant le ginkgo que le ginseng. Dans chacune de ces plantes ont été identifiées des molécules que l’on ne rencontre nulle part ailleurs dans la nature. Mais on ne sait pas laquelle (ou lesquelles) de ces molécules est (ou sont) réellement bénéfique(s) pour la santé, ni par quels mécanismes. Face à cette incertitude, l’industrie pharmaceutique fabrique des produits contenant toutes les molécules de la plante qui pourraient être utiles. Mais ces principes actifs, comme on les appelle, doivent d’abord être extraits de la plante.


Gigantesque infusion



En Suisse, il n’existe qu’un seul endroit où l’on extrait le principe actif du ginkgo: chez Nuova Linnea, à Riazzino au Tessin. Si, à l’entrée du site de l’usine, le visiteur est fermement prié d’éteindre sa cigarette, cela n’a rien à voir avec la morale: c'est une question de sécurité. Pour y traiter les plantes, on utilise en effet des solvants extrêmement dangereux. A la moindre étincelle, l’usine pourrait partir en fumée. Chaque année, l’entreprise traite entre 400 et 500 tonnes de feuilles de ginkgo. Ces feuilles séchées proviennent de Chine, des Etats-Unis et de France. Leur teneur en principes actifs varie en fonction de leur origine. Il faudra donc les mélanger.
La première étape, consiste à transformer la matière première en plaquettes homogènes. Ensuite, le principe s’apparente à une gigantesque infusion. Mais dans le cas du ginkgo, les principes actifs contenus dans les feuilles ne sont pas solubles dans l’eau. Inutile donc de vouloir en faire une tisane: il s’agit de chimie lourde. L’extraction se déroule en plusieurs étapes, au cours desquelles on utilise différents solvants, comme l’acétone ou l’éthanol. Ainsi, peu à peu, la pâte végétale est lessivée de son contenu en principes actifs et, à chaque étape, les solvants sont récupérés par distillation.
Au cours des différentes étapes, des échantillons sont prélevés. Le but est de contrôler que les substances nocives soient bien éliminées, mais qu’en revanche, les teneurs en principes actifs soient suffisantes. Au total, près de 200 analyses sont effectuées durant le processus. "Il s’agit d’un produit pharmaceutique. On ne fait donc pas n’importe quoi avec ce genre de produit. Il faut, pour commencer, contrôler la matière première pour être bien certain que cela corresponde à nos besoins - qu'elle ne contienne pas de pesticides, par exemple. Il faut ensuite être certain que le produit final soit celui sur lequel ont été faits tous les tests cliniques. Et il ne faut pas jouer avec ce genre de paramètres: nous devons être absolument certains que tous les paramètres, dans nos produits, respectent les normes prescrites", précise Michael A. Granville, président de Nuova Linnea. La précision des ces paramètres est essentielle pour les fabricants de médicaments: à la fin, ce sont eux qui achètent l’extrait de ginkgo, qui le mettent en gélules et qui devront déterminer quelle dose journalière de cette poudre il faudra recommander au patient.
Evidemment, on est ici bien loin de l’herboristerie telle qu’on l’imagine habituellement. Cela étant, même si les procédés d’extraction s’apparentent à ceux l’industrie pharmaceutique, au niveau des produits proposés dans les pharmacies et les drogueries, le flou est total. Les extraits de ginkgo et de ginseng sont vendus tantôt sur la liste des médicaments sans ordonnance, tantôt comme compléments alimentaires. Cela signifie que les fabricants n’ont aucune obligation de garantir une teneur minimale en substances actives. Pourtant, sur tous les emballages figurent les bienfaits à attendre du produit, ainsi que la dose à prendre chaque jour, comme pour n’importe quel médicament. Aussi, en collaboration avec l’Institut de Pharmacognosie de l’Université de Lausanne, nous avons cherché à savoir ce que contenaient réellement ces produits.


Résultats du test ginkgo



Pour ce test, nous avons sélectionné 10 produits. Ils ont été rangés dans deux catégories: ceux qui contenaient du ginkgo en association avec d'autres substances (comme des vitamines, par exemple) et ceux où le ginkgo était utilisé seul. Le dosage des principes actifs a été déterminé par le laboratoire en fonction de la posologie maximale prescrite sur la notice d'emballage. En d'autres termes, le nombre de milligrammes figurant en regard de chaque produit est l'expression de la quantité journalière maximale de ginkgolides - les principales substances responsables de l'effet pharmacologique du ginkgo - qu'absorberait un patient qui se conformerait à cette posologie. Le prix indiqué correspond également à ce que le patient débourserait par jour pour suivre le traitement maximum selon cette même posologie.


1. Ginkgo en association


2. Fortevital & Allium plus


3. Ginkgo utilisé seul


4. Ginkgo & Geriaforce


Au vu de ces résultats, "quatre préparations sortent nettement du lot", commente le Pr. Hostettmann. "D'abord, trois préparations qui contiennent uniquement du ginkgo et à des doses élevées. Elles méritent certainement l’indication que l'on donne. Donc, on peut prétendre que ces médicaments sont véritablement efficaces. Une autre préparation a également une dose élevée: elle est associée avec le ginseng. Et je crois que là aussi, c’est un très bon médicament. Les autres ont des teneurs faibles, voire très faibles pour certaines. Dans ces cas, je pense que l’effet existe peut-être, mais en très faible quantité… Peut-être un effet placebo".
Certains des produits qui associent le ginkgo à des vitamines ou à d’autres substances ont une teneur en gingkolides très faible. En d’autres termes, leur fabricant vend des vitamines bon marché au prix du ginkgo. Et c’est un bon moyen, car, apparemment, le ginkgo fait vendre. Et malheureusement, c’est aussi légal, puisque rien n’oblige les fabricants à respecter une teneur minimale en principes actifs.


Résultats du test ginseng



Pour les préparations à base de ginseng, le laboratoire a mesuré deux paramètres: la dose journalière en ginsénosides - les principes actifs spécifiques au ginseng - et la présence éventuelle de pesticides. Car, contrairement au ginkgo, qui est un arbre extrêmement robuste, le ginseng est une plante fragile, difficile à cultiver sans avoir recours à des fongicides et à des insecticides. Et comme les racines ont la fâcheuse tendance à stocker tous les polluants du sol, et que, de surcroît, la récolte n'a lieu qu'après 5 ans de culture, il y avait quelques raisons d'être inquiets.
Concernant les teneurs en ginsénosides, le laboratoire a fait deux constatations: d'une part, chaque échantillon contenait bien du ginseng. La racine faisant l'objet de fraudes depuis la Chine ancienne, c'est donc une bonne nouvelle. D'autre part, les teneurs en principes actifs variaient énormément d'un produit à l'autre. "Je crois qu'il faut un peu nuancer tout ceci", relève Kurt Hostettmann. "Le ginseng est utilisé beaucoup en gériatrie. Et pour des personnes âgées, on donnera peut-être, sur le long terme, des teneurs pas trop élevées. Tandis qu'un athlète qui veut améliorer ses performances prendra peut-être, pendant un temps plus court, des teneurs plus élevées. La meilleure chose pour le consommateur est donc d'aller demander conseil au pharmacien, qui est le seul spécialiste à avoir reçu une formation universitaire dans le domaine des plantes médicinales".
Les résultats figurant ci-après ne prennent donc en compte que la présence ou l'absence de résidus de pesticides dans le produit, respectivement symbolisées par un smily fâché ou souriant.
Ginseng en association
Pour cette catégorie de produits, qui associent le ginseng à d'autres substances actives, bonne nouvelle: aucune trace de pesticides n'a été détectée. Ce sont :


5. Biorganic, Kintavit & Vigoran


6. Tonique D, GeriaVit & Fortevital


7. Biovital, Vita Buer & Gincosan


Cela peut s’expliquer par le fait qu’il s’agit d’extraits de ginseng purifiés, et non pas directement de poudre de racine. Par contre, dans la catégorie des ginsengs seuls, les résultats sont nettement moins réjouissants.


8. Ginseng seul


9. Il Hwa Korean ...


10. Giseng ...


11. Ginsana


12. Ginsavita N & ...


Bilan final: sur 11 produits, 7 - soit plus de la moitié - contiennent des résidus de pesticides. "Le risque le plus subtil et le plus inquiétant tient au fait que ces organochlorés s’éliminent extrêmement lentement de l’organisme. Donc, si on en ingère tous les jours une toute petite quantité, la dose que notre organisme contient va augmenter, et augmenter encore. Et lors d’une telle accumulation, il y a des raisons expérimentales de craindre l’induction de cancers, de malformations fœtales, ou de craindre également des effets indésirables quant à l'équilibre hormonal. Avec les doses mesurées dans ce test, je crois que le risque d’intoxication aïgue et manifeste immédiatement après l’ingestion est absolument nul. Par contre, chez une personne qui prendrait très régulièrement des doses de ces produits pendant longtemps, les risques d’une accumulation et d'une toxicité chronique difficile à mettre en évidence me semblent exister", estime Thierry Buclin, de la division de Pharmacologie clinique du CHUV, à Lausanne.
Bien que les pesticides décelés restent dans les normes légales, il est regrettable d'en trouver dans des produits censés faire du bien. D'autant plus que les normes légales sont de plus en plus discutés. Et parmi les pesticides que nous avons trouvés dans ce test figurent, entre autres, l’hexachlorobenzène (HCB), un fongicide interdit pour l'agriculture dans les pays occidentaux, mais aussi le lindane, l’insecticide qui a remplacé le DDT. Bref, justement le genre de substance qui a fait naître le mouvement de défiance à l’égard de l’industrie chimique. A l’Office intercantonal de contrôle des médicaments (OICM), on se déclare surpris par ces résultats. Mais vu le nombre de nouveaux produits qui apparaissent chaque année sur le marché, on nous a aussi avoué que, pour les contrôles, l'OICM s’en remettait en grande partie aux déclarations des fabricants. Bref, à leur conscience professionnelle...