Four à micro-ondes, wifi, téléphone portable... Nous évoluons en permanence dans un bain d'ondes. Certaines personnes développent des symptômes parfois assez graves qu'elles attribuent à ces ondes. On appelle cela : l'électrohypersensibilité.
« de la téléphonie mobile, le GSM, L'UMTS, et la TNT
du Salève».
Nos nombreux appareils utilisent et émettent, parfois 24 heures
sur 24, des ondes de diverses formes et différentes fréquences.
Premier exemple, Peter a monté son équipement au 4ème étage d'un
appartement classique du centre de Genève. Son analyseur de spectre
fournit une sorte de carte des ondes électromagnétiques présentes
dans l'appartement, décryptée par le spécialiste : « On a ici
trois émetteurs de TNT, un téléphone mobile, les GSM 900 et 1800
pour les natels, l'UMTS pour l'Internet mobile et enfin le wifi.
Pour les gens électrosensibles, c'est trop. » Il y aurait donc
des gens qui ne supportent pas ces ondes ?
Deuxième mesure, à la campagne cette fois. L'intensité des ondes
extérieures y est beaucoup plus faible que dans l'appartement en
ville, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'ondes. Le four
à micro-ondes, par exemple, lorsqu'il fonctionne, est tout à fait
détectable par Peter : « il est blindé, mais il y a des fuites
autorisées, que l'on détecte. » Le téléphone sans fil DECT est
la source la plus persistante de la maison. Vu l'ancienneté du
modèle, la base émet une onde en permanence, même lorsque le
téléphone est sur sa base.
Une norme élevée
?
Troisième mesure dans un autre lieu de Suisse Romande, le jardin
d'une maison de banlieue, à quelques mètres d'une antenne de
téléphonie mobile : « on détecte du GSM et de l'UMTS, à environ
0,2 volt par mètre. C'est à nouveau une valeur assez élevée. »
C'est exactement la même valeur que celle mesurée le matin même
dans l'appartement en ville. Un trentième de la valeur limite
maximale autorisée en Suisse pour une antenne de téléphonie mobile
dans un lieu sensible de vie. Sujet clos ? Au contraire, c'est
cette norme qui prête à discussion. Les clients habituels de Peter
Schlegel sont des électrosensibles, qui connaissent des problèmes
de santé, parfois assez graves, qu'ils attribuent aux émissions
électromagnétiques. L'ingénieur considère qu'un trentième de la
norme suisse, c'est une valeur assez élevée, parce que dans sa
carrière, il a rencontré des gens qui commençaient à ressentir des
symptômes à un millième de la norme.
Les électrosensibles
Elsbeth Schöneman vit à Zurich. Elle se plaint de problèmes de
sommeil, de vertiges, de maux de tête et de tremblements : « Je
ne peux plus marcher droit, j'ai des troubles du mouvement, et pire
que tout, des tremblements qui me gênent beaucoup. Je ne peux plus
vivre une vie normale. La journée ça va, je peux sortir et après
deux-trois heures mon organisme se répare. Mais la nuit, je ne peux
pas fuir et le matin je suis anéantie. » Aujourd'hui, ne pas
supporter les radiations du quotidien rend la vie très compliquée.
Peter Schlegel : « Les rayonnements augmentent d'année en
année. Les personnes électrosensibles ne savent plus où habiter.
Elles ne trouvent plus d'endroit où elles n'ont pas de troubles.
» Un casse-tête que connaît bien Philippe Hug. Il vit aux
Rochettes, aux confins du Jura vaudois, avec une antenne de
téléphonie mobile à 2.5 kilomètres. Peter Schlegel confirme que les
ondes sont ici très faibles. Philippe Hug : « J'ai du fuir deux
fois, de Bullet à l'Auberson, puis de l'Auberson ici. A chaque
fois, des antennes ont été ajoutées près de chez moi, c'était
catastrophique. Je vais le moins possible à Yverdon et j'évite les
villes comme Genève. Il me faut deux jours pour m'en remettre. J'ai
des pertes d'appétit, je suis très fatigué, je peux avoir des
palpitations ou des nausées, des troubles du sommeil... Une antenne
à proximité, ce serait le peloton d'exécution, je ne saurais plus
quoi faire. En Suisse, je ne connais pas de zone blanche, où il n'y
a pas du tout d'émission. »
Des souffrances bien
réelles
Selon une récente étude, près de 5% des Suisses pensent être
sensibles aux ondes électromagnétiques, mais l'existence de ce
trouble est encore sujette à grande controverse dans le monde
scientifique. Martin Röösli, de l'Institut de Médecine sociale et
préventive à Bâle, réalise des études sur la question depuis des
années. « Certains disent que cela existe, d'autres le
contraire. La majorité des scientifiques pensent qu'une grande
partie des troubles dont on entend parler est due à d'autres causes
que les rayonnements, mais beaucoup estiment que l'on ne peut pas
exclure tout à fait cette possibilité et que l'on a besoin de
meilleures recherches sur la question. Mais que les champs
électromagnétiques en soient la cause ou non, les symptômes sont
réels et les gens souffrent. » Au laboratoire
d'électromagnétisme et d'acoustique de l'Ecole Polytechnique
Fédérale de Lausanne, on étudie, on invente, et on met au point des
appareils qui utilisent les ondes électromagnétiques. A-t-on déjà
rencontré ici, dans ce temple de la technologie, un électrosensible
en chair et en os ? Juan Mosig : « Nous avons rencontré une ou
deux personnes sur une vingtaine d'années qui venaient nous dire
qu'elles sentaient ces ondes. On ne les croyait pas, on les a
testées : dans les deux cas, statistiquement, leur détection des
ondes était bien supérieure à la moyenne. Je pense qu'on peut donc
croire les personnes qui se disent électrosensibles. On a intérêt à
détecter et traiter ces personnes. »
Pour le logement aussi, il a dû
s'adapter : « J'ai passé à peu près 3 ans à tenter de me
protéger des champs électromagnétiques au bureau ou à la maison. Et
je me suis aperçu que je ne me sentais pas bien avec une protection
parfaite, c'est-à-dire en m'entourant de métal. » Charles a
alors opté pour solution radicale : il a fait construire une yourte
qu'il peut, à l'occasion, déplacer dans des zones "propres". Et les
moyens de subsistance ? « Je vis sur mes réserves. Il n'y a pas
d'assurance pour cela, ce n'est pas reconnu. Je ne peux pas toucher
le chômage et je ne peux pas travailler dans un bureau. C'est une
sacré coupure par rapport à ma vie passée, mais j'essaie de passer
par-dessus et de trouver de nouvelles opportunités pour travailler
dans un environnement qui est tolérable pour moi. » Même si
cette nouvelle vie n'est pas toujours évidente : « Je n'ai pas
de chambre permanente où je peux vraiment me sentir chez moi. Ces
temps, je dors où je peux. Il m'arrive de dormir un peu dans la
pièce en argile ou dans mon minibus. Quand je vais dans un
environnement propre, mes symptômes disparaissent, donc il doit
bien y avoir quelque chose. »
En Suède, l'électrosensibilité a
été reconnu en 1995 comme une déficience fonctionnelle, un
véritable handicap, même si officiellement, on ne reconnaît pas
comme prouvé le rapport entre les ondes électromagnétiques et les
troubles : « La seule chose que vous ayez à faire, c'est
d'aller à votre Municipalité voir un ombudsman dont le travail est
de prendre soin de vos besoins comme personne handicapée et dont le
seul but est que vous puissiez vivre une vie à l'égal des autres.
» Mais même en Suède, le chemin peut-être très long. Bengt
Hokansson considère que ses premiers symptômes ont commencé en
1989. Il a réussi à travailler en ville jusqu'en 2002, malgré ses
multiples problèmes de santé qui se sont aggravés au rythme du
développement des communications mobiles. Il est ensuite resté 3
ans en congé-maladie, jusqu'à ce que l'Office du chômage lui trouve
une solution. Il gérait un parc de 150 ordinateurs, il est
aujourd'hui aide-jardinier dans le château-musée de Tyreso, non
loin de Stockholm : « C'est beaucoup mieux qu'en ville et c'est
à l'extérieur. Il n'y a pratiquement pas d'ordinateur, peu
d'émission. Je peux sentir leur absence, mon corps se relaxe sans
radiation. » Prochaine priorité pour Bengt, finir le blindage
de son appartement. La ville de Stockholm lui a payé une partie du
matériel: peinture antiradiation, feuilles d'aluminium et surtout
les tissus isolants spéciaux qui lui servent de rideaux et de
baldaquin dans la chambre à coucher. Nécessaire, vu la sensibilité
de Bengt, qui ressent les émissions de notre matériel de tournage :
« Je sens le transmetteur pour le son que j'ai dans ma poche.
Il provoque un picotement sur ma langue. C'est la partie de mon
corps qui réagit en premier. »