270 millions d'ordinateurs ont été fabriqués dans le monde en 2007. Si les ordinateurs sont souvent conçus en Californie, les composants sont l'œuvre de petites mains asiatiques. Les usines d'assemblage sont pour la plupart en Chine. Mais dans quelles conditions pour les ouvriers?
Les organisations Pain pour le Prochain et Action de Carême, à
Lausanne, s'occupent de développement dans les pays du Sud. Elles
sont scandalisées par les conditions de travail dans les usines
d'ordinateurs en Chine.
Défense périlleuse des
travailleurs
Elles ont initié un vrai travail d'enquête pour faire bouger les
choses. Chantal Peyer, coordinatrice de Pain pour le Prochain :
« Ce ne sont plus les marques d'ordinateurs qui fabriquent les
ordinateurs. Elles ont délocalisé la production dans ces zones
franches des pays en développement et ça représente un nombre
énorme de personnes. Aujourd'hui, il y a à peu près 35% des
ouvriers de l'électronique dans le monde qui sont en Chine. Quand
on parle d'abus et d'exploitation des ouvriers dans l'électronique,
en Chine, cela touche trois millions de personnes. » Nous nous
sommes d'abord rendus à Hong Kong, l'ancienne colonie britannique
rattachée à la Chine en 1997. Des milliards y transitent chaque
jour. Cette place forte de la finance dispose d'un statut politique
particulier jusqu'en 2047. Elle offre encore un espace de liberté
aux organisations de défense des travailleurs chinois. Han
Dongfang, syndicaliste et animateur de radio, avait eu la mauvaise
idée de lancer un syndicat indépendant au moment des événements de
TienAnmen en 1989. Après un séjour de deux ans en prison, il a été
expulsé de Chine continentale. « Le gouvernement chinois ne
veut pas que les travailleurs disposent d'un pouvoir quelconque
parce que cela pourrait constituer un frein au développement des
investissements, cela pourrait indisposer les patrons. Après deux
décennies de cette philosophie "tout pour l'économie", les
résultats sont là, cette économie a la plus forte croissance du
monde. Mais en même temps, en Chine, on viole constamment les
droits des travailleurs et de la pire des manières! »
Travail 7 jours sur
7
La Sacom est une organisation d'étudiants et d'enseignants basée à
Hong Kong, partenaire de Pain pour le Prochain. Ses enquêteurs se
rendent en Chine pour interroger les ouvriers sur leurs conditions
de travail. Le résultat figure dans des documents que la Sacom
n'hésite pas à mettre sous le nez des multinationales. Jenny Chan,
Directrice de la Sacom : « Nous rendons publiques les enquêtes
que nous menons dans les usines. Parce que nous voulons que les
Suisses sachent que les conditions de travail en Chine sont
exécrables. » Jenny Chan nous emmène en Chine pour rencontrer
des ouvriers d'usines de composants d'ordinateurs. Les rencontres
ont lieu dans des arrière salles de cafés, les ouvriers demandent
l'anonymat. A Shenzen, notre première ouvrière est une assistante
sociale. Pour se rendre compte de la réalité des ouvriers dont elle
s'occupe, la jeune femme a travaillé à la chaîne dans une usine
d'assemblage d'ordinateurs pendant plusieurs semaines. « J'ai
travaillé sept jours sur sept. Il y avait deux équipes, une de
jour, l'autre de nuit. Comme ça, les machines peuvent tourner 24
heures sur 24. A la fin du mois, on change d'équipe et là, on a un
jour de congé. Le salaire mensuel de base est de 105 francs. Selon
la loi sur le travail, chaque heure supplémentaire est payée
nonante centimes, mais j'ai reçu 85 centimes seulement. Le
week-end, ils auraient dû me payer le double, mais cela n'a pas été
le cas. »
Heures supplémentaires et
vie à l'usine
A Dongguan, dans le delta de la Rivière des Perles, les industries
électroniques poussent comme des champignons. Elles produisent des
appareils photo numériques, des téléphones portables, des
ordinateurs. Un jeune ouvrier explique qu'il a travaillé 140 heures
supplémentaires le mois précédent. Trois fois la limite légale. En
Chine, la sécurité au travail est quasiment inexistante. Le jeune
homme a été victime d'une blessure à un doigt. « Je travaille
sur une machine, mais la coordination n'a pas fonctionné avec mon
collègue. Je retirais une pièce, mais il a actionné la machine
avant que je retire ma main et j'ai été blessé au doigt. » Il
payé les frais médicaux lui-même, sans savoir s'il serait
remboursé.
Comme tant d'autres ouvriers chinois, il ignore ses droits. Il
vient d'une campagne lointaine. Une dose massive d'heures
supplémentaires, telle est la seule réponse des patrons chinois aux
grosses commandes des multinationales, même si la loi interdit de
dépasser 36 heures par mois. Dans la tradition chinoise, les
ouvriers dorment à l'usine. Dans ce dortoir filmé en caméra cachée,
douze à quatorze personnes dorment dans des lits à deux étages,
dans des chambres de 20m2. Le nombre de cuisines et de sanitaires
varie d'une usine à l'autre. Parfois, les ouvriers doivent attendre
une heure du matin pour pouvoir se doucher.
Exploitation dès
l'embauche
En se faisant passer pour des acheteurs, ABE a aussi visité une
usine de câbles d'ordinateurs à Zhongsan, au Sud de Canton. Une
usine qui compte parmi ses clients les marques qui dominent le
marché suisse. La visite de deux ateliers se fait sous haute
surveillance. Dans un bruit assourdissant, les conditions de
travail sont épouvantables. Chaque jour, les ouvriers répètent les
mêmes gestes abrutissants. L'âge moyen des ouvriers tourne autour
de vingt ans. S'il n'y a pas d'enfants, il n'y a pas de vieux non
plus, sauf quelques chefs. Comme dans les autres usines, il existe
un système de pénalités financières. Par exemple, si l'ouvrier
passe plus de cinq minutes aux toilettes ou s'il refuse d'assumer
des heures supplémentaires. Les machines sont vieillottes,
dépourvues de système de sécurité. Les ouvriers sont entassés les
uns sur les autres. Parmi eux, le nombre de femmes est très élevé,
y compris dans les travaux pénibles. Les conditions sont celles qui
régnaient dans les usines européennes il y a septante ans. La
plupart des ouvriers viennent de campagnes lointaines, ils ne
connaissent personne dans les grandes villes. Pour trouver du
travail, ils doivent passer par des agences de placement. Les
honoraires de ces officines sont exorbitants, 150 francs pour un
homme, l'équivalent d'un mois de salaire. Les femmes s'en sortent
mieux, si l'on peut dire, elles ne versent que 90 francs.
L'exploitation commence avant même de franchir la porte de
l'usine.
Pain pour le Prochain et la Sacom
ont dressé une liste de neuf articles de la loi chinoise sur le
travail qui sont violés par les usines d'ordinateurs. Nous en avons
choisi trois :
L'article 38, qui prévoit un jour de repos par
semaine, est violé par les usines :
Lite-On, Primax, Volex, YonHong.
Fournisseurs des cinq marques les plus présentes en Suisse :
Acer, Apple, Dell, HP et Fujitsu Siemens.
L'article 41 fixe un
maximum de 36 heures supplémentaires par mois. Il
est violé par les usines :
Lite-On, Primax, Tycoh, Volex, YonHong.
Fournisseurs de :
Acer, Apple, HP et Fujitsu Siemens.
Enfin l'article 73, relatif
à l'assurance maladie & accident obligatoire n'est pas
respecté chez :
Primax.
Fournisseur de :
Apple, Dell et HP.
Evaluation des marques
Chantal Peyer, coordinatrice, Pain pour le Prochain : « On a
fait une évaluation qui est basée sur deux piliers. Le premier,
c'est les enquêtes sur le terrain. Quelle est la réalité dans les
usines où travaillent ces ouvriers ? Ensuite, nous avons interrogé
les marques pour savoir ce qu'elles ont fait ces 14 derniers mois
en Chine pour essayer d'améliorer la situation dans le cadre de
leur politique sociale ? Et là dessus, on les a en quelque sorte
notées, mais ça reste le discours des firmes. »
Voici l'appréciation du comportement des marques par Pain pour le
Prochain et Action de Carême.
HP
Responsabilité sociale : élevée
Transparence : élevée
HP s'est lancé en 2002 déjà dans une démarche de
responsabilité sociale. Et a rendu public sa liste de fournisseurs,
ce qui constitue une première.
Dell
Responsabilité sociale : moyenne
Transparence : moyenne
Un collaborateur basé à Singapour consacre 30% de son temps à
s'occuper de responsabilité sociale en Chine. C'est trop peu pour
recevoir une meilleure appréciation.
Apple
Responsabilité sociale : moyenne
Transparence : faible
L'équipe en charge de la responsabilité sociale est passée de
un à huit collaborateurs en un an. Mais Apple donne toujours des
réponses lacunaires aux questions qui lui sont posées.
Fujitsu
Siemens
Responsabilité sociale : faible
Transparence : faible
Cette firme a son propre code de conduite, en retrait de celui
de l'industrie de l'électronique. Elle refuse toute responsabilité
dans le comportement de ses fournisseurs.
Acer
Responsabilité sociale : faible, en progression
Transparence : faible
Acer a longtemps refusé de reconnaître toute responsabilité
sociale, mais parle depuis peu de respecter les droits des
ouvriers. Elle n'a nommé personne pour s'en occuper.
Le bilan est sombre, les excuses des marques pitoyables. Chantal
Peyer, coordinatrice Pain pour le Prochain : « Les marques et
beaucoup de gens disent, mais la Chine est en pleine croissance et
c'est bien que ces ouvriers aient du travail. Ça c'est tout à fait
vrai. Mais il n'en reste pas moins que ce sont des esclaves des
temps modernes. Les conditions dans lesquelles ils travaillent ne
respectent pas la dignité humaine et la valeur du travail.
»
Que peut on faire en Chine pour que cela change, pour que les
marques améliorent le sort de leurs ouvriers ? Han Dongfang,
syndicaliste, China Labour Bulletin : « Ici, les gens n'ont pas
confiance dans la justice. Ils savent qu'elle est corrompue et,
pour eux, les lois ne sont là qu'à titre décoratif. Mais le
gouvernement ne cesse de répéter que la Chine vient de se doter
d'une loi très sociale. Dit-il la vérité ou s'agit il d'une simple
propagande ? Cela n'importe pas, car nous le prenons au mot et nous
disons aux travailleurs : "la loi existe, utilisez-la, évoquez-la
pour vous défendre." »