Plage, hôtel de luxe et un petit lifting au passage, pour un prix imbattable, le tourisme de la chirurgie esthétique fait des adeptes en Suisse romande. Quels sont les risques ? A Bon Entendeur a mené l'enquête
D'Internet à l'officine médicale
Le tourisme médical commence à séduire en Suisse ! Des agences
spécialisées, des sortes de tours operators, proposent des séjours
à des prix ultra-compétitifs avec un passage en clinique, le temps
de se faire remodeler le corps ou le visage. Attention, prudence !
Une opération de chirurgie esthétique n'est jamais une intervention
anodine, en plus, le concept vacances-chirurgie comporte des
risques. Pour le démontrer le plus concrètement possible, nous nous
sommes glissés dans la peau d'une cliente, Florence, appelons-la
comme cela, souhaite se faire refaire le nez. Comme elle ne croule
pas sous l'or, elle va chercher la meilleure offre...
Florence ne supporte plus son nez,
qu'elle trouve trop large, d'autant qu'avec l'âge, son visage se
creuse. Objectif visé grâce au bistouri : un nez plus droit, plus
fin, une retouche relativement légère.
L'opération, la clinique, un choix d'hôtels et... la plage...
Plusieurs voyagistes proposent sur Internet des arrangements
alléchants : le contact se fait par courrier électronique, on
envoie une demande avec photo et dossier médical.
Alain Fogli est chirurgien plasticien à Marseille et président du
Syndical national de chirurgie plastique. Il condamne vivement ce
tourisme chirurgical via des agences, qui respectent peu les règles
élémentaires d'éthique. Il n'y a pas de consultation préopératoire,
pas de délai de réflexion et, plus grave encore, pas de
suivi.
Sans parler de l'absence totale de recours juridique en cas de
problème.
François Perrogon, médecin et président de l'Association pour
l'information médicale en esthétique (A.I.M.E.), à Paris,
s'inquiète également de ce mélange des genres.
Voyager pour se refaire une beauté, Florence va quand même céder à
la tentation. Un premier rendez-vous est pris dans une agence qui
organise ce type de séjours en Tunisie. La visite comprend une
consultation avec un médecin, le Dr D., qui lui conseille une
intervention légère et la rassure. Aucun risque d'infection selon
le Dr D., si ce n'est un risque esthétique. Pas d'examen médical,
juste un avis ; Florence doit payer 100 francs pour la visite. En
plus, à ce stade, Florence ne sait pas qui pourra l'opérer en
Tunisie.
Enfin, le Dr D. n'a pas
l'autorisation d'exercer la médecine dans le canton de Vaud ; il ne
figure pas sur la liste des médecins étrangers qui ont un diplôme
formellement reconnu par l'Office fédéral de la santé. Nous n'avons
pas non plus trouvé sa trace dans la liste officielle des
chirurgiens esthétiques reconnus en France.
Jean-François Emeri, chirurgien plasticien et vice-président de la
Société suisse de chirurgie plastique, reconstructive et
esthétique, à Lausanne, souligne l'importance, pour la réussite
d'une opération, de la relation, de la communication entre le
chirurgien et le patient. Il dénonce aussi le problème de
l'équipement des cliniques à l'étranger.
La chirurgie esthétique est tout sauf un acte banal ; il faut
absolument des garanties sur les normes sanitaires appliquées par
la clinique et sur les qualifications du médecin qui opèrera.
Recevoir par courrier électronique le curriculum vitae d'un
chirurgien ne suffit pas, il y a des titres ronflants qui ne
veulent rien dire. Pas évident non plus, quand on s'embarque pour
un séjour chirurgical, de consulter au moins deux chirurgiens, ce
que des associations de patients recommandent vivement.
Et si toutes les précautions sont prises, des catastrophes peuvent
arriver, même tout près de chez nous. Marie-Gabrielle Fourcade
souhaitait un lifting. Il y a neuf ans, elle s'adresse à une
chirurgienne réputée à Paris. L'opération est un échec. Madame
Fourcade vient enfin de gagner son procès. Il reste qu'elle a perdu
beaucoup d'argent et son visage.
Une petite rhinoplastie en Tunisie
Comme souvent, quand on a une
obsession, on oublie le pire. Florence veut modifier son nez, la
première agence ne l'a pas convaincue. Toujours en Suisse romande,
elle se rend maintenant dans un bureau de voyages très spécialisé.
Là, on prend des photos de son visage, qui devraient être envoyées
au chirurgien à Tunis. On lui fait remarquer l'importance d'être
prête psychologiquement. Seule exigence médicale : que Florence
fasse un bilan sanguin. Les formalités remplies, les conditions
acceptées, le voyage est maintenant intégralement payé. Départ pour
la Tunisie, la rhinoplastie est prévue le lendemain matin déjà
!
Florence passera deux nuits dans une clinique privée et cinq jours
dans un hôtel de luxe, près de Tunis. Comme prévu, l'intermédiaire
de l'agence l'a prend en charge dès son arrivée. Première
destination : le cabinet du chirurgien. De lui, elle ne connaît que
son curriculum vitae. Dans la salle d'attente du cabinet privé,
Florence remplit un questionnaire : identité, antécédents médicaux.
Impression confirmée par la suite : le médecin qui la reçoit ne
sait rien d'elle.
Avec quelques explications
anatomiques, mais sans examen médical approfondi, le chirurgien
rassure Florence : aucun risque, aucune complication. Il oublie
juste de lui dire qu'il pourrait y avoir des problèmes de
cicatrisation. Dans ce cas-là, de retour en Suisse, Florence devra
se contenter de lui téléphoner ! Quant au résultat définitif, il
est prévu dans deux ou trois mois.
Puis, elle est conduite à la clinique, où elle doit passer la
première nuit. L'anesthésiste doit passer en début de soirée.
Florence sera opérée le lendemain, si elle ne change pas d'avis. Il
lui reste quelques heures pour réfléchir. Un délai de réflexion
trop court, relève Raphaël Gumener, chirurgien plasticien, privat
docent à Genève, et ancien président de la Société suisse de
chirurgie plastique, reconstructive et esthétique.
La réalité du tourisme médical, c'est tout autre chose. Les
arrangements impliquent qu'on ne perde pas de temps. L'agence a
aussi vendu à Florence un cadre paradisiaque, pour qu'elle profite
un maximum.
Enfin, Florence rentrera chez elle
sans s'être fait opérer le nez. Elle a renoncé pendant la nuit ! Le
chirurgien et l'intermédiaire de l'agence lui avaient dit que
c'était possible. Florence ne souhaite pas rester en Tunisie, elle
aura donc passé une nuit à Tunis, pas dans la chambre de la
clinique où l'intermédiaire aurait bien aimé qu'elle reste, mais à
l'hôtel. Sur les 3'800 francs environ que Florence a dû payer à
l'avance, l'agence lui a remboursé à peine la moitié.
Imaginons maintenant que Florence ait été opérée à Tunis. Son
opération esthétique aurait pu très bien se passer, cependant
certains chirurgiens suisses et français ont vu des cas vraiment
problématiques revenir de l'étranger, et qu'est-ce qui se passe
alors ?
Complications
Si l'opération de Florence s'était
mal terminée, ou que le résultat ne l'ait pas satisfaite,
qu'aurait-il pu se passer ? Les conditions générales de l'agence
qui a organisé le voyage à but chirurgical prévoient ceci : «
Au regard notamment des prédispositions physiologiques du
client et des circonstances particulières de son cas, (l'agence)
prendrait à sa charge une nouvelle intervention. » Cela
signifie que l'agence, qui se décrit comme un simple intermédiaire,
a prévu de limiter ses responsabilités.
En cas de litige médical, l'affaire sera jugée dans la ville où
s'est déroulée l'opération, c'est une règle internationale. Dans
l'exemple de Florence, le for juridique est donc à Tunis, ce qui
complique singulièrement les choses, comme nous l'explique
Marc-Olivier Buffat, avocat, à Lausanne.
Pas question de faire un procès
d'intention aux cliniques étrangères. ABE vous met simplement en
garde, comme d'ailleurs l'ont fait, en juillet 2005, la Direction
générale de la santé et le Ministère du tourisme en France : leur
communiqué commun dit clairement qu'il faut regarder avec attention
les qualifications des médecins, les conditions de la pratique de
l'anesthésie, les règles d'hygiène et d'asepsie. Le Ministère du
tourisme a même fait boucler une agence spécialisée dans ce
tourisme chirurgical. Ce mélange des genres a été décrété illégal
en France. Et en Suisse ? L'Office fédéral de la santé publique ne
s'est pas penché sur la question. On estime à Berne que le
touriste-patient doit assumer les risques qu'il prend.
Assurances et comparaisons des coûts
La situation est donc très compliquée, d'autant qu'il est
difficile de savoir si le chirurgien a une assurance en
responsabilité civile ou une assurance professionnelle et, même si
c'est le cas, ce que comprend cette assurance. Un conseil, que ce
soit à l'étranger ou ici, n'hésitez pas à demander si le chirurgien
plasticien que vous sollicitez a bien une RC !
Sur le plan médical, si vous rentrez en Suisse victime d'une
opération esthétique qui a mal tourné, l'assurance de base ne
prendra pas en charge les conséquences, sauf dans le cas d'une
infection, encore que... Au niveau de l'assurance complémentaire,
c'est différent, tout dépend de ce que prévoit votre contrat.
Parlons chiffres maintenant : pour
une rhinoplastie, puisque c'est la demande de Florence, combien ça
coûte en Suisse et par le biais de ces agences de tourisme
chirurgical ? Le prix chez un chirurgien en Suisse pour une
rhinoplastie... sans le dépaysement se situe entre 6'000 et 10'000
francs selon la durée de l'hospitalisation et la clinique.
L'agence où travaille le Dr D. indique sur son site : 3'550 francs
sans le billet d'avion, c'est-à-dire environ 4'000 francs avec
l'intervention, la clinique, l'hôtel tunisien.
Moins chère encore l'agence choisie par Florence : 3'792 francs
tout compris avec le billet d'avion, le soleil tunisien en
prime.
Enfin, sur Internet, vous pouvez trouver une offre qui paraît
meilleur marché : opération en Tunisie, cinq nuits d'hôtel : 1'800
euros, soit environ 2'830 francs, mais attention de ne pas tomber
dans le piège tendu par plusieurs agences, ce prix ne comprend pas
le billet d'avion.
Douleur et traumatisme psychologique : deux tabous
Si ce tourisme se développe, c'est
aussi dû au fait que la chirurgie esthétique s'est banalisée. Mais
il y a une chose qu'on oublie souvent : la douleur. Une femme en a
parlé, elle s'appelle Marie Dallée. Un léger défaut obsède
tellement Marie Dallée que son mari finit par lui offrir
l'opération de ses rêves pour ses 44 ans. Marie va remettre son
visage entre les mains d'un chirurgien de sa région. L'opération
dure quatre heures et demie, la phase de réveil est catastrophique
pour Marie, très douloureuse. Tabou aussi le traumatisme
psychologique d'une intervention esthétique. Il a fallu six mois à
Marie pour aller mieux, mais presque deux ans pour que ses yeux
retrouvent une mobilité, une expression, une histoire. Marie Dallée
a vécu une expérience tellement difficile qu'elle en a fait un
livre.
Vous pouvez écouter le témoignage de Marie Dallée en cliquant sur
la vidéo ou lire son livre, To lift or not to lift : Mes déboires
au pays de la chirurgie esthétique, Albin Michel 2003.
Florence va prendre le temps de réfléchir. Au cours de ses
rendez-vous, elle a appris que la rhinoplastie est l'une des
opérations esthétiques les plus délicates. Sans avoir de chiffres
précis, on sait que le taux d'insatisfaction est assez élevé, en
raison en partie de problèmes de communication entre le chirurgien
et sa patiente ou son patient. D'où l'importance, une fois encore,
de pouvoir établir une relation de confiance, en ayant aussi toutes
les garanties dont nous avons parlé avant. Enfin, ne pas perdre de
vue, aussi, que la chirurgie esthétique ne peut pas toujours
résoudre à elle seule un mal-être, assurer une réussite sociale,
physique et amoureuse.
[Retrouvez les interviews complètes des médecins en
cliquant sur la vidéo.]