Scandale de l'amiante : laxisme, silence et nouvelles victimes

Scandale de l'amiante : laxisme, silence et nouvelles victimes

L'émission du 2 décembre 2003

L'amiante nous empoisonne, au propre comme au figuré. C'est un dossier qui devrait être réglé aujourd'hui. Or, il reste tragiquement d'actualité.


Il y a plus de 26 ans, ABE consacrait déjà une émission à l'amiante. Depuis, les reportages, les articles et les témoignages de victimes se succèdent. Mais une bonne partie de l'amiante utilisé pendant les décennies qui ont suivi la fin de la guerre est encore là. On peut dire, qu'à partir de 1980, on connaissait parfaitement les dangers de l'amiante. Ce n'est que 10 ans plus tard qu'il a été totalement interdit et encore, certains produits ont obtenu des dérogations et ont été commercialisés jusqu'en 1995. Toute personne qui vit ou travaille dans un bâtiment contenant de l'amiante est potentiellement exposée, mais ceux qui sont en premières lignes sont les ouvriers, techniciens, électriciens et le personnel d'entretien des bâtiments. Les bricoleurs du dimanche prennent également des risques.




De l'amiante, il y en avait plein dans les Twin Towers. Il a été libéré dans l'atmosphère quand elles se sont écroulées. Résultat : ce que l'on peut considérer comme la plus grosse pollution à l'amiante de l'histoire.


Qu'est-ce que l'amiante ?



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L'amiante, au départ, c'est une substance minérale fibreuse d'origine naturelle contenue dans certaines roches. On trouve des mines d'amiante dans de nombreuses régions de la planète, notamment au Québec qui est le plus gros producteur du monde. Mais aussi en Suisse, comme ici dans une carrière au-dessus de Martigny.




Le chrysotile, communément appelée amiante blanc, représente 95% de la production mondiale d'amiante. Parmi les autres variétés, il y a le crocidolite ou amiante bleu.




Les fibres extraites du minerai par broyage revêtent plusieurs propriétés physiques remarquables: résistance au feu, à l'usure et aux produits chimiques. Elles sont aussi très souples, imputrescibles et elles absorbent très bien les sons.




L'amiante est utilisé depuis le début du XX ème siècle, mais c'est surtout après la 2ème guerre mondiale que son usage s'est largement répandu. On se souvient bien sûr de l'amiante ciment avec lequel on a fabriqué toutes sortes de panneaux, cloisons et autres plaques. On estime à plus de 3500 le nombre de produits ayant contenu de l'amiante sous différentes formes. En plus des matériaux de construction pour l'isolation thermique et phonique, il y en a eu dans les garnitures de freins ainsi que divers objets domestiques.




La Suisse a été un gros consommateur d'amiante : on estime qu'on en a importé environ 100kg par habitant avant son interdiction.




Au départ, comme souvent lors de découvertes intéressantes, on n'avait aucune raison de se méfier de l'amiante. Alors, on en a mis partout. Les matériaux les plus à risques sont ceux qui sont faiblement agglomérés, comme le flocage, car ils sont friables et libèrent plus facilement les fibres d'amiante lors de chocs, de courants d'air ou quand on les touche. Le fribrociment, par exemple, lui ne devient dangereux que s'il est percé ou scié. Le problème, c'est qu'en dehors de quelques rares experts, personne n'est formé pour identifier un matériau suspect. Les fibres d'amiante sont microscopiques et elles resteront dans les poumons de manière irréversible. On ne connaît pas exactement les liens entre la dose inspirée et le risque, probablement qu'il dépend de la sensibilité individuelle. On ne sait pas non plus soigner les maladies et les cancers qui en découlent.


Quels sont les risques pour la santé ?



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Quand on respire des poussières d'amiante, les fibres vont se planter dans les poumons et l'organisme est incapable de les éliminer. Résultat : après un certain temps de latence, plusieurs maladies peuvent se déclarer. Le professeur Philippe Leuenberger, pneumologue, nous les décrit : « On peut dire qu'il y a deux sortes de maladies. Les maladies inflammatoires qui touchent le système respiratoire, les bronches, l'enveloppe du poumon, la cavité autour du poumon qui est la plèvre. Cela crée un épanchement pleural et une asbestose, c'est-à-dire un processus qui rétrécit le poumon et qui correspond à une fibrose interstitielle. A côté de cela, il y a des maladies tumorales qui touchent la membrane à la surface des poumons, la plèvre, c'est le mésothéliome. Il y a aussi d'autres tumeurs qui sont favorisées par l'amiante, les tumeurs du poumon, le cancer bronchique, les pathologies tumorales de la gorge et du tube digestif et des reins ».




Inutile de dire que le tabac augmente considérablement les risques. Le mésothéliome est considéré comme le cancer spécifique de l'amiante. Les médecins sont relativement démunis face au mésothéliome.




Philippe Leuenberger : « Si le processus est pris très tôt, le chirurgien peut intervenir et contrôler la maladie. D'autres traitements n'existent pas. Donc, la seule chose qu'on peut faire, c'est essayer de pallier aux symptômes. Ces gens développent une insuffisance d'oxygène dans le sang, ce qu'on appelle insuffisance respiratoire, on va donc leur donner de l'oxygène. Le mésothéliome a la particularité d'entraîner des douleurs thoraciques, et là, bien sûr, il faut donner un traitement antalgique ».




La moitié des malades atteints de mésothéliome meurent dans les 18 mois qui suivent le diagnostic et 95% dans les cinq ans. Les maladies dues à l'amiante se déclarent en général entre 20 et 40 ans après l'exposition aux fibres. On estime que, chaque année, dans le monde, elles causent la mort de 100 000 personnes. En Suisse, la Suva, la Caisse nationale d'accident, ne comptabilise que les mésothéliomes reconnus comme conséquence d'une exposition professionnelle, soit une cinquantaine de morts par an. Mais certaines estimations comprenant les autres maladies vont jusqu'à 500 morts par an. Des chiffres qui, en plus, affichent une hausse inquiétante.


Philippe Leuenberger : « Cette hausse est inquiétante dans la mesure où cette maladie a un pronostic extrêmement mauvais. Donc, chaque cas est un drame et il faut tenter à tout prix de contrôler cette épidémie. Mais on n'est pas dans une situation où l'on peut la contrôler. En effet, les cas que nous voyons maintenant sont issus d'expositions de la fin des années 70 jusque dans les années 80. Mais ce n'est qu'en 90 que l'amiante a été interdit en Suisse »




L'augmentation devrait donc se poursuivre au moins jusqu'en 2020. Et c'est sans parler des autres pollutions à l'amiante qui peuvent encore survenir.




Le premier scandale, c'est d'avoir continué à utiliser l'amiante une fois découverts ses graves effets sur la santé des hommes. Les responsables de ce premier scandale ne sont toujours pas désignés, et toujours pas sanctionnés. Actuellement, des procès sont en cours à l'étranger. En Suisse, les victimes tentent de s'organiser, mais le droit helvétique ne leur est pas favorable du tout. Et pour compliquer encore l'affaire, la société Eternit a été saucissonnée et vendue en tranche par ses propriétaires. Quand on est atteint d'une maladie incurable, ce n'est pas facile d'aller réclamer des comptes aux responsables après tant d'années. Le second scandale se déroule en ce moment : il consiste à laisser pourrir un dossier alors que l'on pourrait épargner des souffrances et des vies en l'empoignant sérieusement. Il n'existe, pour l'instant, toujours aucun recensement précis des bâtiments contenant de l'amiante. Tout ce que nous avons trouvé, c'est une liste publiée en 1985 par l'Office fédéral de la protection de l'environnement. Elle contient l'inventaire non exhaustif de 4000 bâtiments floqués. En effet, elle n'est basée que sur les données fournies par trois entreprises, alors qu'elles étaient plus nombreuses à pratiquer cette spécialité. Sans compter toutes les autres utilisations de l'amiante dans la construction publique et privée.


Etat des lieux : restent-ils des bâtiments à risque ?



Cette liste de 1985, la voilà. Officiellement, 60% des bâtiments qu'elle recense auraient été assainis à ce jour. Mais nous avons voulu savoir plus précisément ce qu'il en était dans les six cantons romands et comment ils avaient assuré le suivi de cette liste.




Nous avons donc posé la question par écrit aux autorités cantonales. Et c'est là qu'a commencé un véritable parcours du combattant. D'abord pour trouver le bon interlocuteur. Ensuite pour obtenir des réponses et arriver à nous y retrouver dans la langue de bois qu'on nous a souvent servie. Bref, après de nombreux téléphones et échanges de fax, voici le résumé que l'on a péniblement pu établir.


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On commence par le canton de Vaud. Sur les 112 bâtiments de la liste, les dix qui sont la propriété de l'état ont été assainis ou partiellement assainis. Mais on n'a aucune indication pour le reste qui relève de la propriété privée.


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Dans le canton de Fribourg, la liste comptabilise 38 bâtiments. L'un d'eux se trouve en réalité sur Vaud. Les autorités disent suivre le dossier des autres bâtiments, mais ne fournissent aucun chiffre.


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En Valais, sur les 50 bâtiments recensés dans la liste, 17 ont été assainis, d'autres ont été démolis ou désaffectés, sans plus de précision.


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Dans le canton de Neuchâtel, des 56 bâtiments de la liste, 2 se situaient hors du territoire cantonal, 22 ont été assainis, 6 l'ont été partiellement, 9 ne contenaient pas d'amiante et 17 restent à assainir.


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Dans le Jura, la liste dénombrait 6 bâtiments. 3 ont été assainis, un bâtiment ne contenait pas de flocage, un autre a été détruit dans les années 80 et, dans le dernier bâtiment, le flocage a été stabilisé.


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A Genève, sur les 72 bâtiments de la liste, 35 ont été assainis, 3 partiellement assainis. Dans 4 bâtiments, il ne s'agissait pas d'amiante, dans 19 bâtiments les investigations n'ont pas permis de trouver de l'amiante, et 11 bâtiments restent à assainir.


Des recherches supplémentaires ? La réponse des cantons



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Nous avons également demandé aux cantons s'ils ont procédé à des recherches supplémentaires, en plus de la liste.




Vaud dit avoir recensé environ 350 bâtiments propriétés de l'état qui devraient être investigués.




Fribourg affirme avoir recensé plusieurs bâtiments contenant de l'amiante sous une autre forme que du flocage, mais sans plus de précision.




Neuchâtel a affiché 7 nouveaux bâtiments, quatre d'entre eux ont été assainis, un partiellement et deux restent à assainir.




Le Jura a trouvé deux bâtiments lors de travaux, l'un a été assaini, l'autre étanchéifié.




Genève a recensé 57 nouveaux bâtiments. 35 ont été assainis. Dans 9 bâtiments, il ne s'agissait finalement pas d'amiante. Dans 3 bâtiments, on n'a pas repéré d'amiante et 10 bâtiments restent à assainir.




Quant au Valais, il dit être parti du principe que la liste était exhaustive et n'a donc rien fait en plus.




Enfin, nous avons voulu savoir si des investigations spéciales avaient été faites dans les écoles.




Réponse négative de la part de Vaud, Neuchâtel, du Jura et du Valais.




Fribourg annonce que les écoles à risque seront visitées d'ici juin 2004. Enfin, Genève dit avoir contrôlé les cycles et collèges qui sont propriétés de l'état et écrit aux communes pour qu'elles fassent de même dans les écoles primaires. Le suivi est en cours, mais la chose n'est pas terminée.




Le constat est consternant. Pour expliquer ce laxisme, on nous a souvent servi l'argument du manque de lois obligeant quiconque à l'action.




Marie-Antoinette Bianco, directrice du Service cantonal de toxicologie industrielle et de protection contre les pollutions intérieures à Genève : « Il y a une ordonnance sur les substances dangereuses pour l'environnement. Il y a la loi sur les toxiques aussi, mais il n'y a aucune loi qui oblige à assainir. Il y a une directive pour les locaux floqués à l'amiante qui dit comment faire, à quel moment il y a urgence d'assainir, qui dit que les propriétaires ont l'obligation de s'assurer qu'il n'y a pas d'amiante dans leurs bâtiments, mais il n'y a pas grand chose de plus. »




Pourtant, si on avait vraiment voulu régler le problème de l'amiante, on en aurait eu les moyens depuis longtemps, comme le rappelle François Iselin.




Il a participé à la lutte contre les dangers de l'amiante dès le milieu des années 70 : «On a travaillé intensément et on a mis en place un arsenal de mesures qui permettent de découvrir les bâtiments qui contiennent de l'amiante, d'avoir des techniques de déflocage, des moyens d'informer la population et de former les travailleurs du bâtiment. On a tout un arsenal qui permet de régler le problème de l'amiante de façon définitive et rapide. Mais cet arsenal de mesures n'a pas été utilisé et après ce boom de campagnes sur l'amiante, tout est retombé. C'est comme s'il y avait une volonté politique d'étouffer l'affaire.» C'est vrai aussi qu'assainir un bâtiment, ça coûte cher. Et cela arrangeait bien des gens de repousser aux calendes grecques de tels coûts.




Informer la population et former les travailleurs du bâtiment, ce n'est pas très coûteux comme mesure, mais même ça, on ne le fait pas. Pourquoi n'a-t-on pas immédiatement, en 1980, mis sur pied une commission d'experts indépendants chargés du dossier au niveau national? Avec un calendrier de l'inventaire et de l'assainissement des bâtiments contenant de l'amiante?




Notre enquête démontre qu'il n'y a aucune collaboration entre les cantons, ni même de transmission d'informations. La Suisse est un pays riche et moderne, avec une boîte à outils démocratiques vide face à une affaire comme celle-ci.




Y a-t-il de l'amiante dans l'air que l'on respire ?


L'exemple d'un immeuble plein d'amiante



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Il est vrai que désamianter implique des travaux lourds. On est bien placé pour le savoir puisque la tour de la télévision fait partie des bâtiments qui figurent sur la liste de 1985. En attendant qu’elle soit définitivement assainie comme c’est prévu pour 2006, nous avons effectué des mesures dans les bureaux d’ABE pour savoir ce que contient l’air qu’on y respire. Un filtre relié à une valise qui contient une pompe d’air d’une puissance de 8 litres à la minute. Voilà l’équipement de prélèvement installé dans les bureaux d’ABE. La mesure standard prévoit un pompage d’air pendant huit heures d’affilée, ce qui fait un total de 3,84 m3 d’air filtré. Le filtre à travers lequel tout cet air a passé et sur lequel se sont déposées les éventuelles fibres d’amiante contenues dans l’air ambiant est ensuite soigneusement emballé et emmené au laboratoire.




Au laboratoire, on commence par prélever une portion du filtre. Elle est statistiquement signifiante puisque le système de pompage prévoit la répartition égale de l’air sur toute la surface du filtre. On fixe alors cette portion de filtre sur un support, et on place l’échantillon dans un four à plasma. Cette opération permet d’éliminer tous les éléments organiques qui encombreraient inutilement la vision lors du comptage des éventuelles fibres d’amiante.




Après une dizaine de minute de ce traitement à 60 degrés sous oxygène, l’échantillon est prêt pour être observé au moyen d’un microscope électronique à balayage. Il est placé dans un compartiment sous vide. Ce type de microscope permet d’observer l’échantillon avec un grossissement jusqu’à 100 000 fois. L’observation du prélèvement effectué dans les bureaux d’A Bon Entendeur a donné un résultat négatif. Tauno Jalanti, docteur en physique, l’analyse pour nous : « Nous avons trouvé moins de 95 fibres par m3 ce qui est la limite de détection de notre méthode. Cela signifie en langage clair que nous n’avons pas trouvé de fibre. Cela signifie que vos locaux, étant donné qu’ils contiennent de l’amiante, devront à terme être assainis, mais qu’il n’y a aucune urgence à le faire. »




Lors de sa construction, la tour TV avait été floquée à l’amiante bleu. En 1980, de gros travaux avaient été entrepris pour prévenir les risques de contamination des occupants de ce bâtiment. Il avait été décidé, non pas de défloquer, mais de confiner ce flocage d’amiante. Aujourd’hui, soit 23 ans plus tard, comment se présente cet amiante? C’est ce que nous avons voulu voir dans les bureaux d’A Bon Entendeur. Lorsqu’on soulève une plaque de faux plafond, on découvre la toile de confinement qui est sensée emprisonner l’amiante. Celui-ci est caché, mais il reste bien présent. C’est pourquoi il est prévu de désamianter totalement la tour à fin 2006.




PHOTO Retour au laboratoire pour voir ce qui apparaît sur l’écran du microscope électronique quand un prélèvement contient des fibres d’amiantes. On distingue bien ici la forme de fagot qui révèle à quel point les fibres d’amiante sont friables quasiment à l’infini.


Que font les autorités ?



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La norme en vigueur autorise jusqu'à 700 fibres par m3 pour qu'un local puisse être occupé sans restriction ou un chantier libéré. Mais peut-on se fier à cette norme ?




Tauno Jalanti : « Il a bien fallu fixer une limite quelque part. Evidemment, une seule fibre d'amiante peut être dangereuse comme une seule particule radioactive peut l'être. Mais, statistiquement, il y a peu de chance qu'il y ait des conséquences graves si l'on vit dans un local avec 700 fibres par mètre cube.»




Lorsqu'un laboratoire détecte des fibres d'amiante, il établit un rapport qui détermine le degré de risque potentiel et le degré d'urgence des travaux. Mais que fait le laboratoire de ce rapport si la norme limite de 700 est dépassée ?




Tauno Jalanti : « Nous avisons notre client par lettre recommandée et nous ne pouvons pas imposer des mesures. Nous sommes un laboratoire d'analyse qui est mandaté par des personnes. Nous ne pouvons, par exemple, éthiquement parlant, pas aller dénoncer notre client auprès des pouvoirs publics et autres. Il n'a qu'à prendre ses propres responsabilités. »




Même réponse de la part de Michel Guillemin, directeur de l'Institut universitaire romand de la Santé au travail, où se pratique le même genre d'analyses : « Souvent, on nous envoie des matériaux non identifiés avec un chiffre et puis on dit s'il y a de l'amiante ou pas. On ne sait même pas de quel bâtiment il s'agit, on a un dossier client qui correspond à un bâtiment ou à plusieurs bâtiments et on va stocker ça dans nos dossiers. Après, ces dossiers ne sont pas à disposition du public ou des autorités, à moins que les autorités décident tout à coup de faire quelque chose et mettent les bases légales en application. Je crois que les choses sont relativement claires. »




Est-ce que les autorités s'intéressent souvent à vos dossiers ?




« Non, malheureusement. Je dirais qu'ils s'intéressent de temps en temps. Episodiquement, quand il y a une remontée dans les médias et qu'on parle de nouveau de l'amiante, alors nos dossiers deviennent absolument précieux et puis dès que c'est retombé, nos dossiers n'intéressent plus personne. Là, je caricature, mais c'est un petit peu ça »




Caricature ou pas, les choses en restent donc au constat, faute de législation contraignante. A quoi s'ajoute encore le manque de formation.




Michel Guillemin : « Il y a quelques réglementations qui se sont mises en place. Par exemple, dans le canton de Vaud, l'architecte ou le maître d'œuvre, depuis l'an 2000, doit s'engager à savoir s'il y a de l'amiante ou pas dans son bâtiment. Malheureusement, les gens connaissent seulement la présence d'amiante dans les matériaux en fibro-ciment dans l'Eternit.»




Donc il y a des choses qui peuvent passer inaperçues ?




« Oui, bien sûr. Je pense qu'il y a beaucoup de choses qui passent inaperçues ». Voilà qui a encore de quoi inquiéter !


Informe-t-on suffisamment les gens ?



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Effectivement, il y a les médias qui sporadiquement déterrent le scandale de l'amiante. En Suisse, les cantons font avec les moyens du bord. Ici une brochure, là une information. C'est totalement insuffisant. L'OFSP a aussi édité une brochure de conseils, également bien faite. Mais qui les a eues entre les mains ? A quand une formation obligatoire pour identifier l'amiante dispensée à tous les professionnels ? Un groupe amiante a bien été constitué. Il réunit l'OFSP, le Seco, la Suva et l'association intercantonale de protection des travailleurs. Il prépare, paraît-il, des recommandations et une politique d'information. On leur rappelle que ça fait juste plus de 20 ans que des ouvriers travaillent sur des chantiers qui peuvent contenir de l'amiante, sans avoir les moyens de le savoir. Parfois, quelqu'un donne l'alerte. C'est ce qui s'est passé à la fin de l'été lors des travaux d'agrandissement d'une école à Lausanne. Mais trop tard, les personnes présentes sur le chantier avaient déjà été massivement exposées.




L'école d'Entre-Bois à Lausanne ne figurait pas sur la liste de 1985. Mais le plafond de son hall d'entrée était floqué à l'amiante. Des travaux de déflocage avaient été effectués au milieu des années 80 et les experts à l'époque n'avaient pas repéré d'amiante dans d'autres parties du bâtiment. Ainsi, aucun contrôle spécial n'a été fait avant les actuels travaux d'agrandissement.




Mais, fin septembre 2003, la presse révèle que des ouvriers sont entrés en contact sans le savoir avec un flocage d'amiante caché sous un faux plafond. Ils seraient ainsi une quinzaine à avoir travaillé en étant directement ou indirectement exposés à de l'amiante bleu, le plus nocif. Et cela, pendant près de trois semaines, jusqu'à ce que l'alerte soit donnée par un technicien.




Olivier Français, conseiller municipal en charge des travaux à Lausanne, nous livre son commentaire : « C'est une chose que l'on regrette amèrement. Comment l'expliquer, c'est la faute à qui ? C'est la faute au système, je pourrais résumer en cela. D'abord, un manque de formation et d'information auprès des différents acteurs du chantier. Et là, il est vrai que si l'entreprise n'avait pas fait état de réaction avec un des mandataires, nous aurions pu travailler sans même savoir qu'il y avait de l'amiante »




Manque de précaution, de surveillance, mais aussi de prévention. Nombreux sont les ouvriers qui disent n'avoir jamais eu d'informations à propos de l'amiante.




Visiblement, il y a encore des efforts à faire pour que tous les apprentis sachent reconnaître des matériaux contenant de l'amiante, s'ils en rencontrent dans leur future activité professionnelle.




Suite à l'affaire d'Entre-Bois, la municipalité de Lausanne a réagi en programmant une réunion d'information pour tous ses employés susceptibles d'être en contact avec des matériaux contenant de l'amiante, à savoir les concierges et le personnel d'entretien. Elle a aussi envoyé plus de 4000 lettres à toutes les entreprises qui ont travaillé une fois pour elle afin de les rendre attentives à ce risque.




Quand on est politicien, on a de meilleures chances d'être réélu en débloquant un budget pour construire une piscine dans une école, plutôt que de mettre la même somme pour assainir un danger caché. C'est moins spectaculaire, et comme de toute façon les conséquences de l'exposition à l'amiante ne surviennent que 20 ou 30 ans plus tard, les responsables auront disparu depuis longtemps sous les faux plafonds de la législation.




La seule arme du citoyen, dans un cas comme celui-ci, c'est l'information. Pour éviter d'inspirer de l'amiante, il faut apprendre à se méfier des matériaux suspects et ne pas y toucher en cas de doute.


Comment reconnaître l'amiante ?



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L'Institut universitaire romand de Santé au Travail à Lausanne mène depuis de nombreuses années des recherches sur les matériaux contenant de l'amiante. Petit inventaire présenté par Jean-Marc Fragnière, chef de projet à l'IST : « On en trouve partout, dans les sols, dans les plafonds, dans les parois. Des plaques de faux plafonds qu'on trouve dans tous les bâtiments administratifs, dans les écoles, dans les gymnases. Il y a différents modèles, différents dessins. Il y avait différents fournisseurs et on ne sait pas exactement la fin de la fabrication avec de l'amiante, mais on la situe à la fin des années 70. Lors de simulations, pour se rendre compte de l'exposition d'un concierge ou bien d'une personne qui fait de la maintenance dans un bâtiment, on a déposé des plaques et on les a remises en place. Là, on était déjà à cent fois la norme ». Rien qu'en lançant une pantoufle ou un ballon contre le plafond, comme les enfants le font parfois en jouant, on atteint déjà vingt fois la norme admissible.




Autre emploi de l'amiante abandonné depuis la fin des années 70, les flocages. On passe ensuite au fameux amiante-ciment. Eternit Suisse en a fabriqué jusqu'en 1994.




Ce sont des plaques qui contiennent 10 à 15% d'amiante. On les retrouve sur les toitures, sur les façades, comme tuiles de façades. Ces matériaux, il y en a aussi à l'intérieur des bâtiments comme faux plafond, comme décoration, comme chemin de câble. Eternit a aussi utilisé ces matériaux pour faire des meubles de jardin, des bacs à fleurs, par exemple. Ils ont été fabriqués jusqu'en 1983. Depuis, on a fabriqué les mêmes plaques, les mêmes matériaux en éternit, mais sans fibres d'amiante.




Autre matériau à problème : le novilon que l'on trouve dans les pièces humides comme les cuisines et les salles de bain. C'est du vinyle fixé sur du carton d'amiante qui servait à absorber l'humidité et empêcher les moisissures. Pour finir, il y a les tissus tressés d'amiante qui ont surtout été utilisés dans des installations techniques.


Conseils en cas de doute...



Si vous voulez bricoler chez vous et que vous soupçonnez la présence d'amiante, demandez conseil à un spécialiste du bâtiment. On vous donne les listes des laboratoires d'analyse qui peuvent vous examiner votre échantillon ci-dessous. Il faut compter entre 100 et 150 francs. Si vous avez des pots en éternit ou des vieilles tôles qui traînent, il faut les faire débarrasser dans des décharges spéciales. Adressez-vous à la commune ou au canton directement.




Pour les écoles, en cas de doute, il faut que l'association des parents pose la question de l'amiante au directeur de l'établissement. A lui ensuite d'exiger des réponses au niveau de la commune ou du canton le cas échéant.




Enfin, si vous travaillez dans le bâtiment et que vous ne pouvez pas faire part de vos doutes à votre employeur, exigez de votre syndicat qu'il entame les démarches.




Si vous êtes indépendant, vous pouvez faire appel aux autorités cantonales compétentes, parfois c'est l'intérieur et l'environnement, parfois les travaux publics ou l'équipement.




Il faut bien avouer que ce n'est pas simple de réunir de l'information.


Adresses utiles



MicroScan Service SA




16, rte de la Maladière




1022 Chavannes-près-Renens




Tél.: 021 691 82 52




Institut universitaire romand de Santé au Travail (IST)




Rue du Bugnon 19




1005 Lausanne




Tél.: 021 314 74 21




Service d’expertise, bâtiment BP




1015 Lausanne




Tél.: 021 693 32 23




OFSP




Division Produits chimiques




Tél.: 031 322 96 40




Comité Victimes de l’amiante




CAOVA




Tél.: 024 477 25 38




Portable : 079 699 75 14




DIAE - STIPI




Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement




Service de toxicologie industrielle et de protection contre les pollutions intérieures.




Avenue Ste Clotilde 23




CP 78




1211 Genève 8




Direction de l’aménagement, de l’environnement et des constructions




Service des Bâtiments




Grand Rue 32




1701 Fribourg




Département de l’Environnement et de l’Equipement




2, rue des Moulins




2800 Delémont




Département des Transports, de l’Equipement et de l’Environnement




Service de la Protection de l’Environnement




Rue des Creusets 5




1951 Sion




Département de la gestion du Territoire




Case postale




Le Château




2001 Neuchâtel




Département des Infrastructures




Place de la Riponne 10




1014 Lausanne




Service Cantonal de Toxicologie Industrielle et de Protection contre les Pollutions Intérieures, Genève




Tél. 022/ 327 80 74

L'amiante: matériau miracle

L'amiante: matériau miracle

L'amiante: matériau mortel

L'amiante: matériau mortel

Etat des lieux

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Que font les autorités?

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L'information passe-t-elle vraiment?

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Exemples et conseils en images

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