L'année dernière, vous avez probablement déroulé plus de 2 kilomètres de papier de toilette. ABE a testé les papiers les plus vendus en Suisse.
Hé oui, en Suisse, on compte en moyenne 4 mètres par jour et par
personne, ce sont les chiffres de la consommation indigène. Cela
représente 311 millions de rouleaux, de quoi faire 25 fois le tour
de la terre. Mais en principe ce n'est pas à cela que sert le
papier de toilette. C'est un accessoire d'hygiène intime
relativement récent en regard de l'histoire de l'humanité. Et c'est
une solution comme une autre à un problème universel. D'autres
cultures utilisent, aujourd'hui encore, différentes variantes et
nos ancêtres ont, eux aussi, dû se passer de papier de toilette
jusqu'à ce qu'il surgisse dans le quotidien du petit coin.
Comment Grandgousier connut l'esprit merveilleux de Gargantua à
l'invention d'un torchecul? Dans les textes qui évoquent les
manières à propos de l'hygiène corporelle, il en est un
particulièrement célèbre : Gargantua à Grandgousier, chapitre 13,
"Je me torchai de sauge, de fenouil, d'aneth, de marjolaine et de
feuilles d'épinards (...). Puis je me torchai aux draps, à la
couverture, aux rideaux, d'un coussin, d'un tapis, d'une nappe
(...). Je me torchai de foin, de paille, d'étoupe, de laine, de
papier (...) Puis d'une poule, d'un coq, d'un poulet, d'un lièvre,
d'un pigeon, d'un cormoran... Mais entre tous, vous découvrirez -
sur mon honneur - qu'il n'y a tel torchecul qu'un oison bien
duveteux."
C'est dans cet univers rabelaisien que Grandgousier connut
l'esprit inventif de son fils, Gargantua, qui cherchait l'objet
idéal pour se nettoyer le derrière. Mais, sorti de l'œuvre
littéraire, la solution retenue viendra trois siècles plus tard
avec l'apparition du papier de toilette.
En 1857, aux Etats-Unis ? Ou 1880, en Grande-Bretagne ? Pour la
date et l'origine du célèbre rouleau qui orne nos salles de bains,
le débat n'est pas tranché. Certains pensent que l'usage du papier
s'est progressivement imposé pour la simple raison qu'avec
l'arrivée de l'eau courante dans les logements, il était facile à
évacuer.
A l'origine, il s'agissait d'un papier beaucoup plus rugueux que
celui que nous connaissons et il était présenté dans une boîte en
feuilles séparées. Mais ce produit était considéré comme un luxe,
un caprice de riche, à tel point que bien des années après son
invention, on lui préférait largement le journal. Mais, à la fin
des années 1950, l'usage du papier de toilette entre dans les
mœurs et se généralise un peu partout en Occident.
Côté matière, il devient papier crêpé, puis il sera fabriqué en
ouate de cellulose.
Aujourd'hui, on parle plutôt de papier hygiénique.
Et pendant que les différentes compagnies productrices rivalisent
pour trouver l'article le plus doux, le plus résistant et le plus
efficace, d'autres usages du papier voient le jour.
Sur les stades de football, par exemple, où dans l'esprit des
supporters, le rouleau devient objet de liesse. A l'occasion de
bizutages, il trouve aussi certains usages. Dans les lieux
branchés, où des stylistes qui n'ont pas peur de l'éphémère louent
le glamour du papier hygiénique, le vouant par là-même à une
destinée artistique sous le feu croisé des projecteurs...
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le papier de toilette
n'est pas un marché saturé. Il est en constante progression depuis
les années 50. Non pas que nous déféquions plus que nos ancêtres,
mais plutôt que nous sommes moins parcimonieux.
En effet, la question a été étudiée très sérieusement, et les plus
récentes données arrivent à la conclusion suivante : plus une
société est riche, plus elle consomme de papier de toilette. Une
des explications réside également dans les efforts qui sont fait au
niveau du marketing et de la publicité. Car, comme pour les
lessives, la concurrence entre les marques est rude, ce qui a pour
effet de stimuler la créativité des publicités télévisées. Cela
fait peut-être vendre, mais ce n'est pas forcément de bon
goût.
Voilà plus de 30 ans que les créateurs de spots publicitaires du
monde entier ne cessent de chercher la méthode miracle pour vanter
les qualités du papier hygiénique.
Car, pour donner envie d'en acheter, il faut être imaginatif. Avec
ce genre d'articles, la vieille règle de la démonstration produit
ne s'applique pas vraiment. En effet, un adulte assis sur le trône,
chez nous, ce n'est pas très vendeur.
Conséquence, pour marquer l'esprit des consommateurs, on emprunte
des voies détournées en privilégiant la métaphore.
Une pratique qui n'a pas échappé à l'œil critique de
Vladimir Donne, producteur de Culture pub. Vladimir Donne nous
explique: "Ce type de produit où la démonstration est impossible,
ça génère forcément une créativité débridée. Parce que la
démonstration produit, c'est le degré zéro de la publicité. Comme
le degré zéro est tabou pour ce genre de produits, on est obligé de
faire mieux, plus créatif, plus délirant et on part dans un
exercice de style de créativité."
En France, la marque Moltonnelle donne dans le dessin animé. Le
Trèfle, dans des comédies musicales où les gens achètent du papier
de toilette comme s'il s'agissait d'un produit de luxe. Et Lotus
joue la carte enfant, comme dans son spot le plus célèbre et le
plus plagié, où le bambin débarquait dans le salon au bon milieu
des invités de papa et maman.
Vladimir Donne commente le spot de Lotus: "Avec Lotus, on abordait
les qualités objectives du produit, mais tout ça devait se faire
par un enfant. Un enfant fait caca, mais un adulte ne fait pas
caca.Le problème, c'est que les adultes, dans les spots télé, ne
font plus caca, alors qu'un enfant oui."
Alors, comme il ne faut pas trop s'approcher du lieu critique que
constituent les toilettes, on suggère en utilisant des acteurs avec
lesquels il n'y a pas trop de risque d'identification : comme des
bébés, des anges, des animaux ou des gens en costumes d'époque.
Mais, à côté de cela, les manières d'aborder le papier de toilette
varient beaucoup d'un pays à l'autre. En effet, dans le monde de la
pub, tout le monde ne partage pas les mêmes tabous.
Vladimir Donne présente quelques exemples: "Vous prenez l'Italie,
on voit des adultes représentés. Vous prenez le Japon, vous pouvez
voir une pêche qui symbolise les fesses, tachée de chocolat, c'est
des choses qu'on ne pourrait pas voir en France."
En Suisse, avec Hakle, les campagnes publicitaires amènent un ton
nouveau, en particulier le spot de la mouche.
Commentaire de Vladimir Donne: "L'exploit de ce film est de rester
créatif, tout en abordant un aspect qui n'est pas facile du sujet.
Ce que les gens ne peuvent pas voir en France, c'est un derrière
qui sent mauvais. C'est inacceptable pour le public
français."
Conclusion, pour ce qui est de la promotion du papier hygiénique,
il faut s'attendre à voir différentes approches coexister. Certains
pensent que les publicitaires se risqueront progressivement à
braver les interdits, d'autres pensent que la métaphore a de beaux
jours devant elle, car elle évite de révéler l'intime.
Bref, on n'a pas fini de tourner autour du pot !
Petite question, histoire de lancer le débat de l'autre côté de la
télé: comment utilisez-vous le papier? En le chiffonnant ou en le
pliant ?
Il paraît que les Latins préfèrent la première technique et les
Alémaniques la seconde, mais c'est délicat à vérifier ! Et, lors de
l'acte d'achat, vous êtes-vous demandé pourquoi vous prenez telle
marque plutôt que telle autre? Quels sont vos critères de choix ?
Assortir la couleur du papier à celui de la lunette des toilettes ?
Achetez-vous du papier recyclé par soucis économique ou écologique
? Ou encore, êtes-vous de ceux qui pensent que rien n'est trop cher
pour le derrière ?
Quelles que soient les réponses, le fait est que le papier de
toilette rapporte près de 170 millions de francs par an à ses
fabricants. Et, pour savoir si c'est compliqué à élaborer un
rouleau de papier WC, ABE a poussé la porte de l'usine.
C'est dans le canton de Berne, à Niederbipp, que se trouve une des
plus grandes fabriques suisses de papier hygiénique. Chez Tela, on
fabrique pour le compte de Migros, mais aussi d'Hakle, soit les
deux entreprises qui dominent le marché helvétique.
Dans ces hangars sont empilées des tonnes de papier et de
cellulose destinées à la fabrication du futur papier de toilette,
recyclé et non recyclé. La première étape consiste à plonger la
matière brute dans ces énormes cuves où un bain d'eau chaude a pour
effet de diluer les fibres de cellulose. Pendant que la pâte à
papier se forme, les déchets remontent à la surface, ils sont
extraits du bain, puis rejetés à l'extérieur.
Pour un papier de qualité, les fabricants ajoutent à la cellulose
près d'une douzaine de substances différentes sensées adoucir et
parfumer leurs produits. Mais, dans ce milieu, on n'aime pas parler
des mélanges, car la composition, c'est classé secret
d'entreprise.
Mais, au fait, quelles sont les caractéristiques d'un bon papier
?
Heinz Hohl, directeur de Tela, nous répond: "Je crois qu'un bon
papier de toilette, c'est un papier très moelleux et confortable
pour le consommateur. Il faut qu'il soit très résistant et qu'il
ait une bonne capacité d'absorption.
Et quelles sont les tendances du futur ? "Je vois trois tendances.
La première, c'est la douceur et la couleur du papier. La deuxième,
c'est l'imprégnation avec des lotions soignantes et cosmétiques.
Et, la troisième, c'est au niveau du système de déroulage."
Aujourd'hui, Tela étudie la possibilité de remplacer, voire de
supprimer le petit rouleau de carton du papier hygiénique, mais à
ce jour, la solution idéale n'a pas encore été trouvée.
Une fois transformé, le papier est disposé autour de grands
rouleaux. Chacun de ces rouleaux représente une couche. L'usine
produit, pour l'essentiel, du papier 3 couches. C'est une manière
de s'adapter à la demande, vu que 60% des consommateurs déclarent
préférer le papier à 3 couches contre 15% qui se contentent de 2
épaisseurs.
Puis, vient le moment de la coupe. La vitesse de croisière pour la
production s'élève à 25'000 rouleaux à l'heure. Finalement, au bout
de la chaîne de fabrication, le papier hygiénique est emballé.
Seule une heure a passé depuis le moment où la matière brute a été
plongée dans la cuve.
A partir de là, il ne manque, comme information essentielle sur
le sujet, que les conclusions du test. En collaboration avec nos
collègues de l'émission Kassensturz de la télévision alémanique,
nous avons choisi, parmi les nombreuses marques, les 18 modèles de
papier hygiénique les plus vendus en Suisse. Les échantillons ont
été remis au laboratoire Testex à Zurich, qui a procédé aux
analyses.
Voilà ce qui va nous permettre de savoir ce qu'il y a de meilleur
pour nos postérieurs !
Au laboratoire, les papiers hygiéniques ont été étudiés avec le
même zèle que s'il s'agissait de tissus précieux.
Pour en évaluer la qualité, plusieurs critères ont été retenus.
Pour commencer, l'odeur du papier. Il s'agissait de définir si les
arômes annoncés sur les produits correspondaient à la réalité. Et
là, pas de problème, pour les 18 échantillons, les résultats sont
bons.
Ensuite, on a testé la douceur, puis la solidité des papiers, à
sec et lorsqu'ils sont mouillés. Puis, on s'est penché sur le
pouvoir absorbant, en les plongeant dans de l'eau et en mesurant la
hauteur et le temps d'imprégnation. Et, comme le nombre de coupons
pour chaque rouleau varie en fonction de l'épaisseur du papier,
pour faciliter la comparaison, nous avons établi le prix pour 100
coupons.
On commence par les meilleurs avec
le Hakle Ultra Clean Blanc, le Coop Super Soft et le Kleenex
Premium Camille blanc. Tous ont été convaincants, en particulier
pour leur solidité, leur pouvoir absorbant et leur douceur. Ce sont
aussi les plus chers. Ils sont jugés TRES BONS.
Puis, quatre articles ont obtenu la
note BON. Il s'agit du Tempo Charmin Comfort bleu, du Coop Oecoplan
recycling blanc 100% recyclé, du Soff au parfum de camomille, et du
Hakle Camille imprimé, à noter que ce dernier manque un peu de
douceur.
Les cinq produits qui vont suivre
ont tous obtenu la note SATISFAISANT. Le Migros Soft Comfort blanc
et le Hakle de luxe blanc, deux articles qui sont toutefois jugés
peu solides à sec. Puis le Migros Soft recycling blanc, le
Cartaseta oeco-swiss blanc ainsi que le Zewa moll jaune. Mais ces
trois articles n'ont pas convaincu au niveau de leur douceur.
Enfin, on arrive dans le groupe des
papiers hygiéniques jugés INSATISFAISANTS. Le Recycling Tissu blanc
et le Migros Soft color bleu ciel dont les principaux défauts sont
un manque de pouvoir absorbant et de douceur. Ensuite, le Hakle
Super Vlausch menthe et le Migros M Budget blanc. Le Pick Pay 3
couches blanc et le Coop Colors rose présentent des défauts de
solidité, à sec ou mouillés. Ces papiers figurent parmi les moins
chers du test.
Commentaire de Jean-Pierre Haug, du laboratoire Testex: "Le
papier recyclé a fait de grands progrès ces dernières années. Il ne
se différencie plus fortement du papier de toilette non-recyclé.
Mais celui qui tient à avoir du papier super moelleux ne pourra pas
se passer de papier de toilette non-recyclé."
Pour parfaire notre test, nous avons aussi fait analyser la
composition chimique des papiers hygiéniques.
Premier constat : la présence de métaux lourds en très faible
quantité, surtout du plomb, dans le papier recyclé. Une présence
presque inévitable, vu l'utilisation du papier imprimé dans sa
composition. Deuxième constat : le PH, soit l'acidité du papier. Et
là, surprise, seuls cinq articles sont jugés bons :
- Le Tempo Charmin Comfort
- Le Migros Soft Comfort
- Le Migros M Budget
- Le Coop Super Soft
- Et le Soff au parfum de camomille.
Quant aux 13 autres échantillons, ils révèlent tous un PH trop
élevé. Ils sont donc jugés insatisfaisants.
Malgré les différences de qualité, le papier WC est quand même une
invention bien utile, pour ne pas dire indispensable. De plus, nous
y avons recours pas moins de 100 mille fois dans une vie. En tout
cas, c'est plus pratique que la feuille de bananier ou le papier
journal de nos grands-parents. Mais l'usage du papier est un geste
très culturel qui ne concerne qu'un tiers de l'humanité. Comme il
existe de nombreux synonymes au mot caca, citons par exemple étron,
crotte, pêche, excrément, il existe aussi différentes techniques
pour en éliminer les résidus. Pourquoi avons-nous adopté le papier
dans nos contrées ?
Autant de peuplades, autant de cultures, autant d'usages... Dans
sa majorité, la population mondiale privilégie l'eau pour son
hygiène aux toilettes. Mais que l'on utilise des feuilles, de la
paille ou des galets, quelle que soit la solution retenue, il y a
toujours des questions sur l'origine des choix effectués.
Nous sommes donc allés au cœur d'un entrepôt du Musée
d'ethnographie de Genève à la rencontre de Christophe Gros,
ethnologue: "L'intérêt, pour un ethnologue, ce sont les notions
d'interdits et de tabous qui accompagnent ces gestes. On racontait
que les démons se cachaient dans les excréments. On disait aussi
que le diable était un grand "caqueur". Et, au 19ème siècle, les
hygiénistes, les médecins, les juristes vont penser que, dans les
excréments, il y avait des maladies. En même temps, on s'éloigne de
nos corps, on porte de moins en moins le mouchoir à papa dans la
poche droite. Eructer, péter, se moucher bruyamment, se gratter les
cheveux, tous ces entretiens du corps qui étaient faits en public
sont aujourd'hui privatisés. On se montre comme une image, sans
odeur et sans vie biologique. Souvent, dans l'histoire des
mœurs, les choses se succèdent par tendance, pression, par
interdits généraux. Par exemple, j'ai dans la collection du musée
cette petite calotte cache pudeur en tricot pour papier toilette.
C'est un nouveau geste de pudeur de la ménagère helvétique qui veut
cacher le papier de toilette. Il ne doit même pas être vu dans les
toilettes. Donc, par définition, c'est difficile d'enquêter. Il
faut lever le tabou et se lancer dans les questions. Mais nous ne
savons pas pourquoi les Occidentaux ont privilégié le papier par
rapport à d'autres matières."
Il ne doit pas exister une seule personne à qui il ne soit pas
arrivé de se retrouver dans la situation fort inconfortable de
découvrir, trop tard, qu'il n'y a plus de papier, dans des WC de
parking, par exemple, ou comme invité pour un dîner. Pas de
mouchoirs dans les poches, le stock de rouleaux à l'extérieur du
cabinet, bref, le cauchemar. Dans ces moments-là, il faut se
souvenir de nos ancêtres ou d'autres civilisations. La coutume qui
consiste à ne manger qu'avec la main droite n'est pas née d'une
vision divine particulière, mais d'une hygiène bien comprise :
c'est la main gauche qui essuie !
Et, dans le genre conseil intéressant, mais difficile à appliquer
en cas de pénurie de papier, il y a encore celui d'un vieux médecin
baroudeur : adopter un régime proche de celui du cheval, pas de
viande, ni de graisse et beaucoup de fibres, afin de relâcher une
matière proche de celle du crottin, bien moulé et qui ne colle pas
!