Les cultures intensives d'Andalousie produisent des tomates tout au long de l'année. Dans quelles conditions y travaillent les ouvriers agricoles ? Quel bilan écologique tirer de ce mode de production et de distribution ? En collaboration avec Kassensturz, ABE tente de répondre à ces questions.
On sait depuis quelques années déjà que les bananes sont produites dans des conditions inhumaines, d'où le succès du label Max Havelaar. On hésite à acheter en plein hiver des petits pois acheminés par avion du Kenya parce qu'il y a quand même des limites au gaspillage. Et franchement, l'idée qu'un tee-shirt ou des baskets puissent avoir été cousus ou collés par les mains d'un enfant en Inde ou au Viêt Nam nous donnait presque envie d'apprendre le tricot et d'opter pour des birkenstock.
Mais, c'est la conscience sereine que nous craquions pour une magnifique barquette de fraises ou pour quelques belles tomates espagnoles. On se disait que l'Espagne au moins, c'est l'Europe, la démocratie, le soleil en plus. Jusqu'à ce que l'on découvre le bagne sous cellophane. Derrière ces produits aussi, il y a des conditions de production inacceptables. Avec nos collègues de Kassensturtz, nous avons décidé de faire le point.
On a fini par l'oublier, mais les tomates étaient autrefois réservées aux tables estivales. Depuis une quinzaine d'années, on s'est peu à peu habitués à les consommer toujours plus tôt.
Pour faire mentir les saisons, une grande partie de ces fruits ont parcouru 2000 kilomètres, soit la distance qui sépare la Suisse d'Almeria, en Andalousie.
Cet océan de serres en bordure de mer a été surnommé la Californie de l'Europe. 35'000 hectares sous plastique, soit une fois et demi le lac de Neuchâtel. Cette région est l'une des plus sèche d'Europe, il n'y pleut pratiquement jamais. Mais il y a 20 ans, on a compris que ce soleil qui brûlait tout permettait aussi de faire mûrir des tomates en plein hiver.
Auparavant, les habitants de la région partaient vers le nord en quête de travail, notamment dans les serres hollandaises. Depuis, les travailleurs immigrants ce sont les autres, des Marocains pour la plupart.
En février 2000, les conditions de vie de ces ouvriers agricoles ont brusquement surgi à la une de l'actualité. Suite au meurtre d'une jeune femme espagnole, une partie de la population d'El Ejido s'est livrée a une véritable chasse aux Marocains. Durant trois jours et trois nuits, sous le regard passif de la police locale, la foule s'en est prise à tout ce qui touchait de près ou de loin ceux que l'on appelle ici les Maures.
Depuis, malgré la promesse faite aux immigrés de leur fournir conditions de vie et logements décents, rien n'a été entrepris.
Raymond Gétaz est agriculteur et membre du Forum civique européen, une organisation qui a mené une vaste enquête sur place et qui, depuis un an, observe l'évolution de la situation dans les serres espagnoles. Le constat est sévère : "Il y a eu plus de 700 plaintes, mais aucune enquête. Il faut vous imaginer, il y a des gens qui ont été tabassés, des maisons qui ont été brûlées, énormément de biens qui ont été complètement détruits, et malgré ça, toutes les enquêtes ont été classées, ou elles sont quelque part dans les tiroirs."
Pour la majorité des travailleurs immigrés, la loi espagnole ne s’applique pas. En particulier pour tout ceux qui sont là clandestinement. La seule règle est celle que dictent l’offre et la demande sur le marché de l’emploi. Le salaire est d'environ 5 francs de l’heure pour travailler dans des serres où la température dépasse souvent 40 degrés.
Mais le problème le plus grave réside dans les conditions de logement. La grande majorité des ouvriers agricoles vit loin des villes, dans des hangars désaffectés ou sur les rares espaces jugés impropres à la culture des légumes. Plus de la moitié de ces logements ne disposent pas d’eau potable et de sanitaires, près d’un tiers n’ont pas l’électricité.
Au nord de l’Europe, la main d’œuvre représente la moitié des coûts de production d’une tomate. En Andalousie, elle est inférieure au tiers. Cette réalité appartient à la politique agricole commune. Selon Raymond Gétaz, cette différence est due à une spécialisation des productions : "En Europe du nord, on produit beaucoup de viande, de lait, de sucre, de céréales, des produits où toute la production est réglementée, avec des quotas, des limites de production, etc. Et de l’autre côté, en Europe du sud, on produit des fruits et légumes, en concurrence, un pays envers l’autre. Cela donne la possibilité d’employer beaucoup de main-d’œuvre, au noir notamment. Je pense que toute cette production qui a lieu, pas seulement à El Ejido, mais aussi en Sicile, en Crête ou à Chypre, ou dans d’autres pays de l’Europe du sud, peut-être en Hongrie aussi, ce sont des situations qui sont concurrentielles, les unes avec les autres, et elles ne peuvent pas marcher sans main-d’œuvre au noir, c’est quelque chose de voulu."
Depuis un an, à El Ejido, la situation s’est encore dégradée. D’une part, la municipalité décourage l’accès des ouvriers marocains à la ville, ils sont chassés et ne savent pas où aller, d’autant que de nombreux logements ont été détruits, officiellement à cause de leur insalubrité. Mais rien n’a été reconstruit. De plus, en janvier dernier, le gouvernement espagnol a durci sa politique vis-à-vis de l’immigration clandestine. Pour les travailleurs au noir, la précarité est encore plus grande. En fait, en Andalousie, la seule chose qui change, c’est que les Marocains commencent à être remplacés par une autre main-d’œuvre, venue de Lituanie, de Pologne ou d’Ukraine, et surtout d’Equateur. Aux yeux des patrons espagnols, ces derniers présentent deux qualités : ils parlent la langue et sont catholiques, pour le reste, les conditions de travail sont tragiquement les mêmes.
Sur le marché mondial des fruits et légumes, la concurrence est telle que les producteurs compriment leur coût là où c’est le plus facile, c’est-à-dire sur la main-d’œuvre. Un système qui méprise à ce point l’homme, n’a, a fortiori, aucun égard particulier pour la nature. En Andalousie, les maraîchers prospèrent grâce aux immigrés, au soleil et à l’eau.
Début mars, 120'000 Espagnols descendaient dans la rue à Madrid pour protester contre le plan hydrologique national. Un projet du gouvernement visant à transférer une partie des ressources en eau du nord du pays vers le littoral sud.
Plus aride, le sud concentre aussi l’essentiel de l’agriculture irriguée. Et à lui seul, l’arrosage des cultures représente 80% de la consommation en eau du pays. Or, pour maintenir la production actuelle dans ces régions, l’approvisionnement naturel pourrait bientôt ne plus suffire. Raymond Gétaz explique que "la région d’Alméria a l’avantage d’avoir trois nappes phréatiques à des profondeurs différentes qui sont très aquifères et qui ont un très grand potentiel. Ces nappes ont commencé à être exploitées à partir du début des années 50. Il y a eu des forages, mais très vite, ces nappes ont été surexploitées. Ce qui a fait que d’abord c’est la première nappe, à 500 mètres, qui s’est salinisée, ensuite c'est celle à 1000 mètres, et maintenant, par endroit, par région, ils sont déjà obligés d’aller à 1500 mètres pour avoir de l’eau à peu près propre.
57% des forages, qui sont actuellement en place, sont des forages illégaux, et au vu et au su de tout le monde. Là aussi, il y a des complicités qui sont graves, parce qu’on peut s’imaginer qu'avec des nappes phréatiques en profondeur salinisées, c’est pour des générations que cette eau ne sera plus utilisable."
Et au rythme actuel, les experts estiment que sous le potager de l’Europe, les nappes seront épuisées d’ici 10 à 15 ans. Pour l’instant, la réponse du gouvernement consiste à vouloir transvaser une partie des eaux de l’Ebre et à les acheminer par canaux jusqu’aux serres du sud. Aujourd’hui, en Espagne, nombreux sont ceux qui s’y opposent et réclament une véritable politique de gestion à long terme des ressources en eau.
Pour donner la mesure de l’absurdité d’une telle gestion à court terme, sachez encore que, non content de vouloir transférer l’eau de l’Ebre vers le sud du pays, le gouvernement espagnol envisage aussi de passer un accord avec une société privée française pour pomper de l’eau du Rhône dans la région de Montpellier afin d’alimenter celle de Barcelone.
Mais le problème écologique ne se résume pas à l’eau. Il y a toute la question de l’utilisation des engrais chimiques et des pesticides.
Dans la région d’Almeria, la densité et l’étendue des serres posent de nombreux problèmes phyto-sanitaires. Une telle concentration de cultures facilite la transmission des maladies, notamment virales. Et comme il est difficile de pratiquer la lutte biologique à une telle échelle, les producteurs multiplient les traitements préventifs.
Les producteurs espagnols sont soumis aux mêmes normes que celles en vigueur dans les autres pays européens. L’emploi des pesticides est en principe contrôlé par les coopératives qui commercialisent la production. Pour autant, les maraîchers andalous utilisent 3 à 4 fois plus de pesticides que leurs homologues hollandais.
L’une des raisons tient aux variations de températures entre le jour et la nuit. L’atmosphère d’une serre peut passer de 4 à 40 degrés, d’où une forte condensation. Résultat : l’emploi régulier de fongicides pour prévenir l’apparition de moisissures sur les plantes.
Avant d’être expédiés vers le nord de l’Europe, les légumes ont, en général, droit à un bain, histoire d’effacer toute trace. Les fongicides, à base de cuivre par exemple, ont tendance à colorer les tomates en bleu. ça n’est pas dangereux, mais le rouge se vend quand même mieux.
Mais que reste-t-il après cette petite toilette ? Pour le vérifier, nous avons effectué un sondage.
Les arrivages d’Espagne étant quotidiens, nous nous sommes rendus chez les principaux distributeurs et avons acheté, au cours de la même journée, différentes sortes de tomates.
Afin de nous livrer leur bulletin médical, les fruits ont été confiés au Laboratoire cantonal de Genève.
Au total, 43 substances ont été recherchées, soit 21 fongicides et 22 insecticides. Toutes correspondent à des pesticides qui sont autorisés dans les cultures, tant en Suisse qu’en Espagne.
Pour bon nombre de ces substances, l’expérience montre que le simple lavage des fruits ne suffit pas à les éliminer totalement. Claude Corvi, chimiste cantonal, ajoute qu'"il faudrait vraiment frotter le fruit pour pouvoir enlever toutes ces traces. Mais d’autre part, certains de ces produits sont des produits que l’on appelle systémiques, c’est-à-dire qu’ils pénètrent dans la sève, ils sont véhiculés par la sève de la plante, et dans ce cas-là, ils se retrouvent à l’intérieur du produit."
Dans notre sondage, aucune trace d’insecticides n’a été trouvée. Par contre, 60% des échantillons contenaient un ou plusieurs fongicides, heureusement dans des teneurs conformes à ce qui est autorisé en Suisse.
Dans le détail, 4 échantillons ne présentent aucune trace de pesticides.
- Il s’agit de tomates grappes achetées à la Coop de Signy
- Chez Jumbo à Vernier
- Ainsi qu'à Migros Genève
- Et de tomates rondes vendues au détail chez Aligro à Genève.
Dans tous les autres échantillons, le laboratoire a trouvé des fongicides :
- Ainsi, chez Magro à Etoy, les tomates cerises présentaient des traces de procymidone.
- Même constat chez Jumbo à Vernier, pour des tomates charnues.
- Ensuite, chez Waro à Vich, les tomates cerises contenaient du Chlorothalonil.
- Chez Manor à Chavannes, les grappes présentaient des traces de Dichlofluanide.
- A Migros Genève, les tomates rondes, vendues en action, contenaient des traces de procymidone et d’iprodione.
- On termine avec Aligro à Genève, où les tomates extras contenaient les traces de 3 fongicides : procymidone, chlorothalonil et oxadixyl.
Malgré cet inventaire de termes barbares, ces résultats ne surprennent pas le laboratoire : "...c'est un résultat qui est normal au niveau des concentrations mesurées, mais qui est relativement élevé au niveau de la fréquence d’apparition de ces résidus. Ceci se retrouve fréquemment dans des produits d’origine espagnole, voire italienne ou marocaine. Par contre, dans des pays du nord, en Suisse par exemple, nous avons moins de résidus, parce que nous utilisons moins ce type de produits parasitaires dans les cultures sous serres, et que nous avons un système de production intégrée par exemple, où les produits ne sont utilisés que lorsque nécessaire, et non pas de façon préventive et systématique."
Effectivement, en juin dernier, on avait fait le test pour les tomates vendues en Suisse et le laboratoire n’avait décelé aucun résidu. Au choix, on préfère donc ne pas avaler du tout de pesticides, même si les traces décelées sont faibles. Mais là encore, c’est une question d’éthique, car le principal danger des pesticides est moins pour celui qui consomme les légumes que pour l’ouvrier agricole qui les pulvérise. Pour vous donner une idée, une étude portant sur 506 hospitalisations pour intoxications aiguës chez des ouvriers agricoles de la région d’Almeria en 1996 fait état de 5 % de décès. En d’autres termes, chaque année, des hommes se détruisent la santé ou meurent en produisant des légumes qui seront consommés ici. Dans ce système d’agriculture, les producteurs sont plus préoccupés par les normes en vigueur chez nous que par la santé de leurs ouvriers là-bas.
Mais le sinistre bilan ne s’arrête pas là. Comme il faut acheminer ces tomates d’Andalousie jusqu’en Suisse, on utilise des camions. Et le transport a lui aussi un coût écologique.
Entre les serres andalouses et la Suisse, les camions parcourent 2'000 kilomètres. Sur cette distance, un 38 tonnes brûle environ 800 litres de gasoil. D’après les calculs effectués par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), l’énergie dépensée pour transporter un kilo de tomates espagnoles permettrait, par exemple, de faire bouillir 4 litres de lait, ou faire cuire une belle ratatouille.
Mais le plus préoccupant réside dans les émissions de CO2. Sur le trajet, chaque camion libère 2 tonnes de dioxydes de carbone dans l’atmosphère. Du point de vue de l’effet de serre, la contribution n’est donc pas négligeable.
Chaque année, près de 40 mille camions quittent l’Espagne en direction de la Suisse, mais ce n’est encore qu’une petite part des 1 million 800 mille poids lourds qui transportent les marchandises espagnoles vers le nord de l’Europe.
L’économie européenne s’appuie sur le transport par route. Ces vingts dernières années, le trafic n’a cessé d’augmenter au fur et à mesure que s’organisait le partage de la production à l’échelle du continent.
Aujourd’hui, trois-quart des marchandises voyagent en camion. En valeur, cela représente même le 9/10ème des échanges commerciaux. Outre les problèmes écologiques que cela pose, on commence à atteindre certaines limites géographiques. En certains points de passage du continent, la saturation est permanente. Pour Patrice Salini, membre du Conseil national français des transports et expert auprès du Conseil des ministres de Bruxelles, "...on a bien conscience que les taux de croissance actuels nous emmènent quelque part dans le mur, d’où cette prise de conscience européenne. Au niveau communautaire, comme au niveau national, on parle de plus en plus de politique de développement de transports combinés, d’alternative autoroutière. Il y a donc une prise de conscience, le problème, c’est que l’on a énormément de difficultés à mettre en place des politiques efficaces."
Actuellement, l’une des alternatives aux camions, c’est évidemment le rail. Ou, plus précisément, la combinaison des deux. Pour l’instant, à peine 3% des marchandises échangées empruntent cette voie.
Il faut dire qu’en matière de gros cubes, les transporteurs sont devenus des entreprises européennes, alors que dans le monde du rail, chaque compagnie veille encore jalousement sur ses prérogatives nationales.
Patrice Salini ajoute encore que les discours bougent davantage que les actions concrètes : "Je crois qu’il y a une prise de conscience terrible. On est en train de se rendre compte qu’il ne suffit pas de dire nous sommes favorables à un système ou un autre, qu’il ne suffit pas de se mettre d’accord collectivement pour favoriser un système, mais qu’il faut débloquer des sommes considérables pour aider à un déplacement même faible des transports, d’un mode vers l’autre, ou même d’un système vers l’autre."
Effectivement, la construction d’un réseau ferré capable d’absorber le trafic marchandises se chiffrerait en milliards de francs. Et ce type d’investissement ne produirait véritablement ses effets que dans une vingtaine d’années. Pour les financiers, comme pour les politiciens, le profit à court terme est nul.
En résumé, personne ne peut nier que le prix payé sur le plan humain et écologique, pour avoir des tomates et autres légumes toute l’année, et bon marché, est trop élevé.
Ceux qui importent ces produits, ce sont les grands distributeurs. Comment comptent-ils répondre à ces problèmes, envisagent-ils seulement des solutions ? Nous avons invité les responsables de Coop et Migros.
André Mislin, membre de la direction romande de Coop, et Johan Züblin, ingénieur agronome et responsable de la qualité pour Migros Zürich, répondent aux questions d'Isabelle Moncada.
Isabelle Moncada : Etes-vous au courant de ce qui vient d'être dit ?
- Johan Züblin : Oui, nous sommes au courant de certaines choses, mais pas toujours dans les détails. Comme nous travaillons avec des fournisseurs à long terme, nous savons avec qui nous travaillons, et nous sommes aussi au courant des événement de El Ejido. Nous avons un ingénieur agronome qui travaille sur place pour nous, et qui nous informe de ce qui se passe dans la région. Moi-même, je me suis rendu sur place avec une équipe au mois de novembre pour me rendre compte de la situation.
- André Mislin : Nous sommes également au courant de ce qui se passe dans la région. Nous avons d'ailleurs délégué un groupe de travail de trois personnes, notamment le directeur des achats du groupe, le directeur du service qualité, ainsi que le responsable achats fruits et légumes. Ils sont allés sur place au mois de février. Et j'aimerais encore préciser que nous faisons partie du l'Euro Groupe, une des plus puissantes centrales européennes, qui travaille pour améliorer nos relations avec les fournisseurs.
IM : Puisque vous êtes au courant, cela voudrait dire que vous ne vous préoccupez pas tellement des questions d'éthique ?
- JZ : Non, nous sommes très préoccupés, mais nous avons tous été très surpris de ce qui se passe en Europe. Nous avons beaucoup axé notre politique éthique et sociale sur les pays en voie de développement, avec Max Havelaar, le textile en Inde et tous ces programmes qui marchent très bien. Nous avons aussi fait des codes de conduite pour ces pays avec des organisations internationales, des ONG, et on a soudain été surpris d'être confrontés à un problème si grave en Europe. Alors, il faut un certain temps pour trouver comment nous pouvons faire maintenant pour améliorer cette situation.
IM : Si vous êtes choqués par cette situation, pourquoi ne suspendez-vous pas, par exemple, les importations en attendant que les choses changent ?
- AM : Non, le groupe est tout à fait conscient qu'il faut travailler en profondeur. Nous avons aussi des codes de conduite selon les normes de l'Organisation internationale du travail. Nous contraignons les sociétés à ce qu'elles soient accréditées aux normes SA 8000, et nous avons établi une charte pour les petites sociétés qui n'ont pas les moyens de se payer cette accréditation. Si elles ne respectent pas ces conditions, nous ne pouvons rester leur partenaire.
IM : Mais, en attendant, est-ce que les choses changent et qu'est-ce que vous allez faire ?
- JZ : Au mois d'avril 2000, un mois après les événements, nous avons envoyé quelqu'un sur place faire des audits auprès de nos fournisseurs avec qui nous travaillons depuis longtemps. Mais comme ils sont très nombreux, nous faisons le contrôle au niveau des coopératives, qui ont deux à trois cent membres. On visite aussi des producteurs, mais c'est impossible de les visiter tous. Dans la dernière lettre que nous leur avons envoyée, nous demandons aux fournisseurs de revoir toutes les démarches qu'ils font sur place et de nous communiquer ce qu'ils veulent faire concernant l'approche éthique et sociale, par exemple dans la possibilité d'offrir des logements de bonne qualité. Et à la fin de l'année, nous retournerons sur place faire une évaluation de la situation. Mais je précise, nous travaillons avec de très bons producteurs et fournisseurs, que nous connaissons depuis longtemps, et qui n'ont pas eu de problèmes ces derniers mois.
IM : En dehors de l'hébergement et des conditions dramatiques dans lesquelles vivent ces ouvriers, il y a aussi les conditions salariales qui sont extrêmement mauvaises. Cela ne vous dérange pas de continuer à importer des produits dans ces conditions ?
- AM : Mais oui, cela nous dérange. C'est pour cela que l'on travaille avec cette charte sociale mise en place. Dans celle-ci, un minimum de salaire a été fixé par le gouvernement. Nous demandons à ce que ces coopératives la respectent.
IM : Mais vous faites de la concurrence au niveau du prix, alors pourquoi ne faites-vous pas de la concurrence au niveau éthique, en permettant notamment au consommateur d'avoir le choix, comme pour les bananes du label Max Havelaar par exemple, et de payer peut-être un peu plus cher certains aliments, mais produits dans de meilleures conditions ?
- AM : Le consommateur a le choix en ce qui concerne les fruits et légumes. Il faut dire que 73% provient de notre pays. Tout ce qui est importé, ce sont des fruits et légumes que l'on ne trouve pas ici toute l'année.
IM : Vous pourriez décidé, tant que les conditions sociales ne se sont pas améliorées, de ne pas fournir des tomates toute l'année ?
- JZ : Nous sommes des petits dans la région d'Alméria. Si l'on fait un label seul, on n'a pas de poids. Je pense qu'il faut se mettre ensemble. Nous sommes en contact avec des distributeurs européens pour trouver un moyen de faire quelque chose. En dehors de ce que l'on fait avec nos contrats envers nos fournisseurs, de voir avec des partenaires européens pour avoir plus de poids. Et ensuite, d'agir aussi ailleurs qu'à Almeria.
Si vous voulez faire connaître votre avis à Coop et Migros, le Forum civique européen (cliquez sur le lien dans la colonne de droite) en collaboration avec la Fédération romande des consommateurs, propose une lettre-type de protestation. L’adresse : Forum civique européen, boîte postale 4004 Bâle.