Elevé en aquaculture intensive au Vietnam et en Thaïlande, entre autres, le pangasius s'est installé dans nos assiettes. Comment ce nouveau poisson est-il produit ? Pourquoi a-t-il pris une telle place dans la grande distribution ?
Pangasius conquérant
Le pangasius est le poisson aux oeufs d'or. Dans les méandres du delta du Mékong frétillent des millions de pangasius, un poisson d'eau douce de la famille des poissons chat. En dix ans, il est devenu l'un des principaux produits d'exportation du Vietnam.
Maîtrise de la reproduction
Dès l'ouverture du Vietnam au monde, au début des années 90, les éleveurs vietnamiens ont collaboré avec des chercheurs français, notamment ceux du CIRAD, un centre de recherche près de Montpellier. Jérôme Lazard, directeur de l'Unité de recherche « Aquaculture » du CIRAD, est l'un des biologistes qui ont aidé les Vietnamiens à passer de l'élevage traditionnel à l'élevage semi-intensif et intensif du pangasius : « C'était un grand défi. On a appliqué aux espèces de pangasius ce qui se faisait déjà sur d'autres espèces d'eau chaude, notamment les carpes, à savoir l'utilisation de traitement hormonal pour induire l'ovulation de ces poissons. » Pour frayer dans son milieu naturel, le pangasius remonte le Mékong jusqu'au Cambodge où la femelle relâche ses œufs. Dans un élevage, le défi est de provoquer cette ponte au moment voulu et dans un espace clos. Les Vietnamiens ont appris à maîtriser la reproduction des pangasius en captivité par des prélèvements sur des femelles, les éleveurs vérifient le diamètre des ovocytes, et lorsqu'ils atteignent la bonne taille, ils peuvent déclencher la ponte. Après l'injection d'une hormone humaine purifiée, la femelle relâche des centaines de milliers d'œufs qui seront fécondés et incubés.
Le tonnage explose
En l'espace d'un an, le pangasius atteint 1,2 kg en moyenne. Dans les fermes flottantes, l'aliment traditionnel est une pâte humide composée principalement de son, de riz et d'un peu de poisson. Omnivore, le pangasius supporte une alimentation largement végétarienne, contrairement au saumon par exemple. « Les coûts de production [de l'élevage de pangasius] sont très faibles. [...] Le pangasius offre des filets, une chair qu'attendent de nombreux consommateurs. Il correspond au standard de nombreux poissons marins vendus sous forme de filets, blancs, de bonne taille et avec relativement peu de goût. » Grâce notamment à la main d'œuvre bon marché, le prix de revient au kilo est estimé aux alentours de 80 centimes suisses. Ce qui en fait un produit très prisé par la grande distribution. « L'évolution du tonnage n'a pas d'équivalent dans le monde de l'aquaculture de ces dernières décennies. On est passé de quelques dizaines de milliers de tonnes dans les années 90 à 800'000 tonnes en 2006, et on attend 1 million de tonnes en 2007. »
Rendement problématique
Un rendement aussi élevé - on parle dans les cas extrêmes de près de 200 kilos au mètre cube - cela a forcément un impact sur le poisson et sur son environnement. Apparaissent des problèmes comme :
- La pollution de l'eau par les déchets et des excréments divers
- Les échappées de poissons d'élevage qui viennent perturber les écosystèmes où ils ne sont pas présents
- L'usage d'antibiotiques et de produits chimiques
« Il y a 10 ans, les Vietnamiens utilisaient des antibiotiques à tort et à travers. Ils se sont fait confisquer 72 containers, ce qui est considérable pour une filière en démarrage, et se sont mis à appliquer les règles des différents pays vers lesquels ils exportent, dont l'Union européenne. » En 2007, aucune infraction en matière d'antibiotiques n'a été constatée par les services douaniers européens, ce qui montre que l'industrie vietnamienne est sur ses gardes. On sait toutefois que les éleveurs continuent à utiliser des produits pharmaceutiques, car cela figure dans leur bilan d'entreprise, sans plus de détails. Pour certains distributeurs, cela reste problématique.
Un poisson très bon marché
En Suisse, une des grandes surfaces refuse d'en vendre. Sur les étals des magasins Manor, pas de pangasius. Michel Steiner, directeur achats poissonnerie, Manor : « Il ne satisfait pas à nos critères en matière de qualité et de durabilité. [...] Au Vietnam, nous n'avons vu que de l'élevage intensif et nous sommes plutôt en faveur d'un élevage plus retenu, avec moins de densité de poissons. » La demande, pourtant, ne risque pas de tarir, lorsqu'on sait qu'il s'agit de l'un des filets de poissons les moins chers vendus en grande surface. ABE en a trouvé à 6.90 Fr. le kilo. Une marge faible sur le produit, mais les supermarchés se rattrapent sur la quantité.
Pangasius : le test
Le pangasius n'est pas au-dessus de tout soupçon. Les tests en laboratoire effectués par le chimiste cantonal genevois, sur demande d'ABE, prouvent la présence d'antibiotiques. Dix-huit produits, achetés en grande surface et dans de petites épiceries asiatiques, sous forme de filets surgelés, de barquettes de filets frais et à l'étal, ont été examinés ( voir la liste des produits
). Leur prix varie, entre 6 fr. 90 le kilo pour le moins cher, et 38 fr. 90 pour le plus cher.
Sur ce petit lot de filets, un produit contient des substances pharmaceutiques :
- Il s'agit des filets de pangasius surgelés Pacificblue Thufico, achetés à l'Asia Store, rue Pradier 8 à Genève.
Le chimiste cantonal y a trouvé de la CIPROFLOXACINE (29 mg) et de l'ENROFLOXACINE (20 mg), à savoir deux antibiotiques de la famille des quinolones, ceci dans des quantités qui respectent les valeurs fixées par la législation puisque, au total, elles ne dépassent pas les 100 mg /kg.
Entretien avec Patrick Eder, adjoint au chimiste cantonal de Genève
Disponible seulement en vidéo.
Les poissons du Léman
L'aquaculture intensive pose des problèmes sanitaires et les océans se vident en raison de la surpêche, où donc alors chercher le poisson que les nutritionnistes nous recommandent de manger 1 à 2 fois par semaine au moins ? Manger local, répondent les organisations de protection de l'environnement. ABE a donc rencontré un pêcheur du Léman.
La féra de retour
Baie de Vidy, 5 heures du matin. Alain Schmid, pêcheur professionnel sur le lac Léman va à la féra. Il en reviendra avec un joli butin : 220 mâles et 41 femelles, dont 29 matures. La féra est l'un des poissons qui se porte bien aujourd'hui dans le Léman. Pourtant, elle a déjà disparu une fois du grand lac, dans les années 1920, victime de son succès. Il a alors fallu chercher des poissons de la même famille, celle des corégones, et notamment des palées du lac de Neuchâtel, pour les relâcher dans le Léman.
Plan de repeuplement
La féra fait encore l'objet d'un plan de repeuplement qui est presque devenu une tradition. A 7 heures 30, le garde-pêche commence à prélever les œufs et le sperme et à les mélanger dans un petit bac avec l'eau même du lac, avant de les emmener au Centre de conservation de la faune et de la nature à St-Sulpice. Grâce à ce processus, des millions d'alevins sont relâchés chaque année dans le lac. Les féras sont ensuite préparées pour la vente à des poissonneries, à des restaurants ou directement au consommateur. Alain Schmid, pêcheur professionnel : « Les consommateurs ne savent pas forcément où trouver un produit. Un bateau avec une boule jaune sur le lac, c'est un pêcheur professionnel. Normalement, le pêcheur vend, dans ses locaux sur le quai du poisson frais aux particuliers. » Le message est clair : les pêcheurs professionnels des lacs romands ont de quoi satisfaire le palais des gourmets avertis. Au moins en ce qui concerne la variété puisqu'il y a une bonne dizaine d'espèces qu'on oublie trop souvent : la féra, le brochet, l'omble chevalier, le sandre ou même la lotte.
Ressources insuffisantes
Question quantité et gestion des ressources lacustres, c'est une autre affaire. Dans le cas du Léman, les inspecteurs cantonaux s'accordent pour dire que la pêche locale ne peut remplacer le tonnage total des poissons importés. Gottlieb Dandliker, inspecteur de la pêche, Canton de Genève : « On pourrait probablement augmenter le rendement, mais c'est clair qu'il n'y en a pas assez pour nourrir le bassin de population de la Suisse romande. » Il ne faut pas oublier non plus que le lac Léman est un lac difficile. Plusieurs facteurs influencent sa population piscicole, comme la pollution bien sûr, les maladies, mais aussi tout simplement la température de l'eau. Cecilia Moresi, inspectrice de la pêche du canton de Vaud : « Le lac peut changer de température à des moments délicats, suite à la fraie, quand il y a les alevins ou la sortie des oeufs. Il peut y avoir un coup de bise, la température peut chuter et nous amener à une situation mortelle pour une espèce de poisson à ce moment-là. » D'où la fragilité de cet écosystème, comme ceux des autres lacs romands, qui peuvent être influencés par la demande accrue des consommateurs pour un poisson à la mode, la perche par exemple. « Si on puise continuellement dans une espèce, cela va apporter un déséquilibre dans l'ensemble de la population piscicole du lac. »
Consommation durable
Conclusion : Mangez donc local, mais mangez varié – voilà de quoi répondre en partie à votre appétit pour le poisson tout en respectant une chaîne écologique. Gottlieb Dandliker : « La pêche locale dans le Léman est un exemple de développement durable puisqu'en fait on produit dans des conditions écologiques. Au niveau économique, plus de 100 pêcheurs vivent de la pêche sur le Léman. Et au niveau social, on préserve une tradition, un métier un peu archaïque au milieu d'une société ultramoderne. »
Recette de féra du Léman du chef du restaurant Côté Cour Vincent Lhuillier
Disponible en vidéo et ci-contre.
Guide des consommateurs
Comment choisir son poisson en consommateur responsable ? ABE vous propose un petit guide, en s'appuyant sur les recommandations du WWF, de Greenpeace et de Nausicaa, le centre national français de la mer (en lien ci-contre).
Une démarche importante quand on sait que selon la FAO, 75% des réserves de poissons de mer pêchés à des fins commerciales sont déjà surexploitées ou en voie de l'être à court terme.
A éviter absolument
Le thon rouge. C'est l'espèce la plus menacée par la surpêche et les captures illégales, en Méditerranée notamment où un thon sur trois serait pêché hors des quotas et des périodes autorisés.
Le cabillaud. Victime aussi de la surpêche et des prises illégales, il continue malgré tout d'être utilisé par l'industrie alimentaire qui transforme ces filets en toute une série de produits, par exemple les bâtonnets surgelés. Les prises de cabillaud ont baissé de 70% ces trente dernières années, au point où l'on craint pour la survie de l'espèce.
Le carrelet. Surexploitation, mais aussi méthodes de pêche industrielles ont décimé l'espèce. En mer du Nord notamment, on le pêche avec des chaluts de fond traînés sur de lourds patins, ce qui provoque des prises annexes, et réduit la biodiversité des fonds marins.
L'espadon. Les méthodes de pêche - des lignes de traîne de plusieurs kilomètres avec des milliers d'hameçons - entraînent des prises annexes catastrophiques pour d'autres espèces en danger, notamment les requins, les dauphins et les tortues de mer.
Voilà pour les poissons de mer les plus courants dont il faut éviter la consommation. Certains distributeurs importants en Suisse sont en train de changer leur assortiment pour qu'il réponde aux critères de pêche durable. Coop a retiré de ses étals quatre poissons menacés d'extinction : le mérou, la raie, le thon rouge et le beryx. Manor, qui représente 10% des achats de poisson en Suisse, s'engage à redéfinir son assortiment d'ici à la fin de l'année.
Michel Steiner, directeur des achats poissonnerie, Manor : « Nous ferons attention à la taille minimum des poissons, à ne pas avoir des poissons dans l'assortiment pendant leur période de reproduction, et aussi à la pêche sélective avec un maximum de 4% de prises annexes. »
A éviter sauf s'il y a label
Le saumon pêché dans l'Atlantique, sauf s'il porte un label reconnu comme le MSC, qui garantit une pêche responsable. Le saumon d'élevage est jugé peu recommandable par le WWF car il a besoin de beaucoup de protéines animales. Pour en produire 1 kilo, il faut en effet 4 kilos d'autres poissons.
La sole commune pêchée dans l'Atlantique Nord-est, sauf aussi si elle porte un label reconnu.
La dorade rose pêchée dans l'Atlantique Nord-Est et la dorade royale d'élevage de pays méditerranéens. Mais la dorade royale est recommandée lorsqu'elle provient d'un élevage labellisé bio.
ABE a fait pour vous
une sélection de poissons à consommer
sans contribuer à vider les océans.
Le lieu noir, le rouget barbet, le hareng, les maquereaux, tous sauvages et pêchés dans l'Atlantique Nord-Est. Ils ne sont pas menacés, mais faites attention à leur taille. Il ne faut pas les consommer trop petits car cela pourrait menacer la reproduction de l'espèce.
Le mulet de haute mer dont la chair a un goût proche de celle du bar.
Le bar d'élevage. En Méditerranée on l'appelle loup, à ne pas confondre avec le loup de mer de l'Atlantique Nord souvent vendu en filets et moins goûteux que le bar.
Et puis dans les lacs de Morat et de Neuchâtel il y a du sandre, du silure, de l'anguille. Pour le poisson de mer d'élevage, il y a un prix à payer: il coûte souvent près du double que le poisson pêché en mer. A vous de voir.
Ampoules économiques: réponses à vos questions avec Olivier Ouzilou, directeur du Service cantonal de l'énergie de Genève
Disponible seulement en vidéo.