En réalité, la facture globale de télécommunication des ménages a augmenté, et, en fait de service, l'offre s'est tellement multipliée que seul un expert est capable de choisir utile. Et encore, le mot choix est parfois trop fort, il s'agit plutôt d'éviter de se faire forcer la main. Exemple dans le domaine de la téléphonie fixe. Vous pensiez jusqu'ici que pour être présélectionné chez un autre opérateur que Swisscom, il fallait remplir un formulaire. Eh bien, vous avez tort.
Dans un marché libéralisé, le mot magique est: concurrence. Une concurrence entre les opérateurs sensée garantir au consommateur le meilleur service au meilleur prix. Mais de la saine concurrence à la chasse effrénée aux nouveaux clients, le pas est vite franchi. Dans ce cas, le consommateur ne devient plus qu’une vulgaire proie.
Sandra Roulet habite Mauborget dans le Jura vaudois, elle a eu le tort de répondre oui au téléphone. Elle nous explique : « Début novembre, j’ai reçu un téléphone de Tiscali, une dame voulait m’envoyer de la documentation sur leur produit. Elle a bien précisé qu’elle ne voulait rien me vendre, mais simplement m’envoyer de la documentation. Et j’ai dit oui. Trois semaines après environ, j’ai reçu une lettre de chez eux, la lettre disait qu’ils me remerciaient de ma commande, alors que je n’avais rien commandé chez eux. »
Tiscali est un opérateur italien de téléphonie désireux de s’implanter en Suisse. Dans sa lettre, Sandra Roulet apprend qu’elle sera prochainement présélectionnée chez lui. Furieuse, celle-ci répond le jour-même qu’elle refuse de quitter Swisscom. L’affaire semble close. Mais quelques semaines plus tard… « J’ai reçu une lettre de Swisscom au début de l’année qui me demandait de retourner leur formulaire si je désirais quitter Tiscali et retourner chez Swisscom. J’ai téléphoné chez Swisscom pour en savoir un peu plus, mais j’étais obligée de retourner ce formulaire sinon ils ne pouvaient rien faire et je restais chez Tiscali. »
Effectivement, la même semaine elle reçoit la première facture de Tiscali. Elle refuse de la payer et, à ce jour, elle reste sans nouvelle de l’opérateur italien.
Ce cas n’est pas unique, comme nous l’explique Christian Neuhaus, porte-parole de Swisscom : « Nous avons eu pas mal de plaintes, dont plusieurs dizaines de plaintes écrites. Mais il faut savoir que ce n’est certainement que la pointe de l’iceberg parce que très peu de gens se manifestent. On part du principe qu’il y en a certainement beaucoup plus. Nous avons écrit à Tiscali pour que ceci cesse et nous avons écrit à l’OFCOM pour qu’ils assument leur rôle d’arbitre. »
L’OFCOM, c’est l’Office fédéral de la communication. C’est lui qui a fixé les règles que doivent respecter les opérateurs quand ils s’échangent des clients. Peter Fischer est le directeur de la division service de télécommunication : « Soit on présente un papier écrit d’où il sort que les clients veulent changer. Soit on pourrait présenter, en cas de besoin, un enregistrement téléphonique qui prouve que le client a bien voulu changer d’opérateur. Ces preuves doivent être fournies en cas de besoin. Quand il y a des doutes, on peut toujours les exiger. »
Bref, quand un opérateur affirme qu’un client désire être présélectionné chez lui, Swisscom doit lui faire confiance. Si des preuves sont exigées, rien n’est plus simple que de trafiquer les questions qui figurent sur l’enregistrement téléphonique.
Christian Neuhaus, porte-parole de Swisscom : « Effectivement, on n’a pas vraiment de garantie. On n’a pas moyen de contrôler si c’est effectif ou non. Par contre, si les réclamations se multiplient, on a de quoi se demander s’il n’y a pas quelque chose de faux. »
Mais est-ce que, à l’avenir, il ne faudrait pas envisager un système plus sûr où l’on est certain qu’effectivement le client désire changer d’opérateur ?
« C’est difficile. D’une part, on souhaite favoriser la concurrence, donc que les gens soient libres de changer d’opérateur ou non. Mais je crois que, dans l’ensemble, ce système fonctionne relativement bien. »
Actuellement, l'OFCOM mène une enquête pour déterminer la responsabilité de Tiscali dans cette affaire.
De notre côté, on leur a simplement écrit et la réponse est édifiante. L'opérateur reconnaît qu’il y a eu quelques erreurs au début de l’offensive publicitaire, c’est le terme employé. L’erreur était la suivante, nous citons : « Les demandes de documentation et les inscriptions effectives n’étaient pas séparées dans le système. » On croit rêver! Qu’il s’agisse d’une erreur ou d’une tentative malhonnête de gagner rapidement des parts de marché, le fait est que la chose a été rendue possible par l’assouplissement des règles du jeu. Au nom de la concurrence, la téléphonie est un domaine où la réglementation est systématiquement limitée à ce que le marché juge indispensable et tant pis si le flou juridique qui en découle ouvre la porte aux pratiques les plus discutables. Résultats, les abus se multiplient à en juger par le volume du courrier qui nous parvient. Nous ne sommes pas les seuls à faire ce constat.
A la permanence de la Fédération romande des consommateurs, les problèmes liés à la téléphonie représentent un quart des appels. C’est, sans conteste, le souci le plus important des consommateurs.
Christian Rey, juriste de la FRC: "Les consommateurs ne sont vraiment pas protégés. Les contrats sont rédigés par des opérateurs qui s’organisent pour s’octroyer le maximum de droit. Dans le cadre des services à la clientèle, les opérateurs n’écoutent pas vraiment les consommateurs, c’est ce que nous remarquons à la permanence. »
Les problèmes concernent en particulier la téléphonie mobile. En effet, chacun sait qu’en se faisant offrir un téléphone, on se lie à long terme avec son opérateur. Mais, en cas de conflit, on ne peut plus résilier son contrat. Difficile, dans ce cas, de faire marcher la concurrence.
L’avis de Christian Rey : « Le consommateur n’a pas été la priorité absolue de l’entreprise de libéralisation qui a été mise en œuvre depuis 1998. En réalité, on a espéré que le marché réglerait les problèmes qui pourraient survenir entre les opérateurs et les consommateurs et ce n’est pas vraiment le cas. »
Du côté de l’OFCOM, on reconnaît que la loi a fixé un cadre très souple et n’a pas cherché à anticiper tous les problèmes. Peter Fischer, vice directeur de l’OFCOM : « On est dans un domaine qui est extrêmement dynamique. C’est un domaine qui est poussé par le développement technologique. C’est presque tous les jours que l’on a une petite invention quelque part et, en plus, on a des gens qui ont de l’imagination et aussi le sens commercial. Nous ne pouvons pas prévoir toutes les situations à l’avance. Sinon, on figerait complètement le développement et on serait à l’arrêt. »
Malheureusement, quand l’imagination et le sens commercial de certains font injustement gonfler la facture mensuelle, aucune instance n’a été prévue pour recevoir les plaintes des consommateurs.
Peter Fischer : « Il manque actuellement encore une instance de conciliation où le consommateur pourrait s’adresser quand il a des problèmes de factures, quand il a des problèmes comme vous les décrivez, soit des spams, soit des opérateurs qui font du démarchage beaucoup trop agressif, etc. Un organe qui l’aide dans ses contacts, dans ses relations avec les opérateurs. Là, le consommateur se retrouve seul et, aujourd’hui, il n’y a pas d’instance qui peut directement intervenir. Avec la révision de la Loi sur les télécommunications proposée aux Chambres, il est prévu de créer un organe de conciliation et les travaux sont déjà bien avancés. »
En résumé, contrairement aux branches du voyage, de l'assurance ou de la banque, il n'y a pas d'ombudsman de la téléphonie. En cas de litige avec un opérateur téléphonique, la seule manière de faire valoir ses droits est d’engager un avocat et de régler l’affaire devant un tribunal. Pour des montants qui, en général, ne dépassent pas quelques centaines de francs, cela n’en vaut pas la peine. Les opérateurs le savent. En appelant la hotline pour régler un problème, vous avez peut-être goûté à l’arrogance de ceux qui vous tiennent pour 24 mois. Le pire, c'est que des pans entiers de ce marché échappent à toute réglementation. C'est le cas notamment des services payants par SMS.
Françoise Addor vit à La Chaux-de-Fonds. Lorsqu’elle a reçu sa facture de téléphone mobile du mois de janvier, l’enveloppe était si épaisse qu’elle a d’abord cru à un envoi publicitaire. Malheureusement, elle se trompait. Cette facture comprenait 76 pages, concernait des connexions à des chats et s’élevait à plus de 3000 francs. Elle surprit énormément Françoise Addor qui ne s’est jamais connectée à un site de chat.
911, 906 ou encore 970, peut-être vous est-il arrivé d’apercevoir ces numéros dans les pages d’annonce des journaux ou au bas de l’écran dans certaines publicités télévisées. Ces numéros accompagnés de quelques lettres ouvrent la porte de ce que l’on appelle des services à valeurs ajoutées sur téléphones mobiles. En d’autres termes, des messages payants fournis sous forme de SMS.
En envoyant un SMS, on peut ainsi télécharger une sonnerie de téléphone, recevoir la météo, le programme du prochain ABE ou encore des pensées bibliques.
Mais, parmi les services qui rencontrent le plus de succès, on trouve surtout des noms évocateurs comme Femmes au Foyer, Spy, ou, plus directement, Sexe.
En envoyant par SMS le nom du service, on accède à un espace virtuel où toutes les personnes connectées au même moment peuvent s’échanger anonymement des messages écrits. C’est ce qu’on appelle un chat. Chaque SMS envoyé par un participant est reçu par tous les autres.
Tarif : entre 25 centimes et plusieurs francs par SMS reçu. Plus le chat est animé, plus l’on reçoit de messages et, à raison de plusieurs SMS par minute, le divertissement peut vite coûter très cher. Pour quitter le chat, il suffit de taper STOP.
Sur le portable de Françoise Addor, le chat a duré 3754 SMS, sans qu’elle ne se rende compte de rien.
Quand vous avez reçu cette facture vous avez réagi comment ? « J’ai tout de suite appelé chez Orange. Je ne savais pas du tout ce qu’étaient les 911 ou les 906, donc c’est eux qui m’ont renseignée et qui m’ont dit que c’était des sites de chat. Concernant la contestation des connexions sur ces sites de chat, il fallait que je m’adresse aux prestataires de services et non pas à eux. »
L’un de ces prestataires s’appelle Echovox. Son rôle est de fournir le support technique aux entreprises qui désirent proposer des services par SMS. Elle assure la connexion avec les opérateurs de téléphonie et également la facturation des messages. Pour David Marcus, son directeur, le cas de Françoise Addor n’est pas le fait de pirates informatiques : « C’est quasiment impossible d’usurper l’identité d’une puce ou d’un numéro pour accéder à des services ou même pour téléphoner. C’est beaucoup plus difficile de faire ça que de pirater une carte de crédit ou que de prendre l’identité de quelqu’un, c’est la chose la plus difficile à faire. Donc, c’est une probabilité qui est infinitésimale. La plus grande probabilité dans ce genre de cas, c’est que quelqu’un dans l’entourage s’est servi de son téléphone pour accéder à des services comme il aurait pu le faire avec sa carte de crédit ou n’importe quel autre système. »
Echovox garde en mémoire les SMS échangés au cours des six derniers mois. En entrant le numéro de Françoise Addor, on découvre, qu’en un peu plus d’une semaine, son téléphone a bien reçu des centaines de SMS, mais surtout qu’il en a envoyé 549. La décence ne nous permet pas de dévoiler le contenu de certains messages, mais la personne qui les a envoyés se décrit comme un homme de 30 ans, yeux bleus, plutôt costaud, avec un petit ventre à bière et cherchant une compagne pour passer un moment agréable. Françoise Addor vit seule, elle ne comprend pas : « J’ai essayé de chercher s’il y avait une personne qui correspondait à cette description, mais non. Faudrait que j’arrive à prouver que je n’ai pas utilisé mon portable, mais je ne peux pas le faire. Je n’ai pas de témoin, à part dans les heures de bureaux où mon collègue était là et il peut dire que je n’ai pas téléphoné. Mais je ne vois pas comment je peux vraiment le prouver. »
Malheureusement, prouver que ce n’était pas elle ne servirait pas à grand-chose car ce qui fait foi, c’est le numéro de la carte sim qui a été utilisée, pas l’identité de celui qui a appuyé sur les touches.
David A. Marcus, directeur d’Echovox: « Il est clair qu’avec les nouveaux services qui arrivent sur les téléphones mobiles, on peut considérer que le téléphone mobile est un moyen de paiement. Il faut y faire attention, comme on fait attention à son porte-monnaie, à sa carte de crédit ou ses autres moyens de paiement. »
A l’heure actuelle, on ne connaît toujours pas le fin mot de l’histoire. Françoise Addor ne comprend pas comment son téléphone aurait pu lui être emprunté et les entreprises de téléphonie considèrent que la piraterie à distance d’un téléphone portable est techniquement impossible. Ce que cette histoire révèle, c’est que, là encore, il n’existe ni arbitre, ni règle claire qui permettrait de traiter ce type de problème. On a du mal à en réaliser toute la portée, mais, à travers le téléphone portable, un nouveau moyen de paiement est en train de voir le jour. Le vide juridique qui l’entoure actuellement n’en est que plus inquiétant.
Les Suisses ont développé une véritable passion pour le SMS, toute génération confondue. Ainsi, par exemple, à Nouvel An, nous envoyons nettement plus de messages que nos voisins français. A l’avenir, ce qui devrait rapporter le plus aux opérateurs, ce ne sont pas les SMS que nous enverrons, mais ceux que nous recevrons. En effet, on nous prépare une multitude de services comprenant les jeux télés, l’information routière et même le paiement à distance par SMS.
Echovox héberge déjà plus de 500 services dans différents pays. Mais pour que ce marché grandisse encore, les principaux opérateurs doivent gagner la confiance des consommateurs. Pour y parvenir, ils cherchent à établir eux-mêmes quelques règles de conduite minimales. Mais, pour l’instant, c’est au client de tester lui-même l’honnêteté du service auquel il s’adresse.
La solitude du consommateur a deux causes. D'un côté, le législateur justifie son inaction par la difficulté d'adapter les lois au rythme des évolutions technologiques. De l'autre, les entreprises de téléphonie fixent déjà elles-mêmes les règles du jeu en disant de leur faire confiance. Or, s’il y a un seul conseil à donner aujourd'hui, c'est de se méfier !
Dernier exemple : le roaming. Le terme désigne la prise en charge de vos conversations par un autre opérateur quand vous êtes à l'étranger. Ce service fait l’objet d’une surfacturation négociée entre les opérateurs et le résultat fait mal au porte-monnaie. Alors, même quand les opérateurs proposent de simplifier le système, bien malin qui pourra prédire les effets sur la facture que l’on recevra en rentrant de voyage.
Le monde de la téléphonie ressemble à l’apprentissage de la philosophie. Les questions les plus simples appellent en général les réponses les plus complexes.
En ce moment, Swisscom demande à ses clients Natel s’ils veulent garder leurs tarifs actuels de roaming. En effet, dès le 1er avril, le principal opérateur du pays modifie entièrement son système de tarification pour les appels effectués à l’étranger.
Nous avons demandé à Christian Neuhaus, porte-parole de Swisscom, pour quelle raison Swisscom proposait, dès le 1er avril, un nouveau système de tarification. Voilà sa réponse : « Cela correspond en fait à un vœu du client de plus de transparence et plus de simplicité dans cette jungle tarifaire qui existe actuellement. »
Effectivement, le système actuel est pour le moins complexe. En fonction du pays, de l’opérateur qui vous héberge dans ce pays et si vous téléphonez la semaine ou le week-end, le tarif sera différent.
A la place, Swisscom propose de diviser le monde en 4 zones tarifaires, dans lesquelles un seul tarif serait appliqué.
Mais dans cet univers de simplicité, un petit détail surprend. A la fin de son communiqué, Swisscom annonce que les clients qui désirent conserver l’ancien système de tarification peuvent en faire la demande.
Pour mieux comprendre cette offre, nous avons fait appel à un authentique défricheur de jungle tarifaire : Didier Divorne, créateur du site Allo.ch. Première question : hausse ou baisse des tarifs ? « Cela sera une hausse de la facture pour toutes les personnes qui se rendent à l’étranger pendant le week-end. Dans beaucoup de pays que Swisscom considère comme étant les forts pays pour le roaming, à savoir l’Autriche, l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, les Etats-Unis, on a un tarif réduit pour les week-ends. Il y a de très fortes chances que le nouveau tarif proposé par Swisscom soit bien plus cher que la situation actuelle. »
Selon le pays, la réponse à la question de savoir s’il faut accepter le nouveau système diffère. Pour l’Autriche, cela ne changera pas vraiment.
Pour l’Allemagne et la France, les nouveaux tarifs sont plus avantageux en semaine. Par contre, le week-end, il n’y a pas à hésiter, l’ancien système vous coûtera moins cher.
Concernant l’Espagne, le nouveau système n’est avantageux que la semaine pour les conversations effectuées à l’intérieur du pays. Pour réserver une table de restaurant, par exemple. Pour toutes les autres communications, il vaut nettement mieux garder l’ancien système.
Finalement, pour l’Italie et les Etats Unis, dans quasiment tous les cas de figure, cela sera plus avantageux de demander de conserver l’ancien tarif.
Reste une question : que penser de la possibilité offerte par Swisscom de conserver l’ancien système de tarification ?
Didier Divorne : « Quand Orange et Sunrise ont également simplifié leurs tarifs en unifiant tous les divers tarifs, ils n’ont rien proposé à personne, le consommateur n’a pas eu le choix, il a dû se plier à la nouvelle règle dictée par son opérateur. Swisscom propose aux gens de faire ce changement. Maintenant, quand on connaît les habitudes du consommateur, qu’on sait à quel point la publicité ou les informations qui sont jointes à la facture sont poubellisées quand elles arrivent et que les gens ne vont pas réagir pour conserver les anciens tarifs, on peut imaginer que bien plus du 90% va adhérer aux nouveaux tarifs et ne pas rester sur les anciens. »
Ces nouveaux tarifs entreront en vigueur le 1er avril. Si vous préférez conserver l'ancien tarif, vous pourrez le faire en tout temps pour le début du mois suivant. Un coup de fil à Swisscom suffit, le plus difficile étant de comparer les tarifs. Pour vous aider, Didier Divorne a préparé une page spéciale sur son site allo.ch à la rubrique allô la terre. Enfin, même si l'OFCOM n'est pas le FBI, n'hésitez pas à lui signaler les abus. Quand les courriers se multiplient, il finit quand même par agir.
OFCOM
Rue de l’Avenir 44
2503 Bienne
A Moguer, en Andalousie, Indofres est l’un des 1400 producteurs de la région. Ses clients sont des grands distributeurs, principalement français, mais aussi suisses, belges et anglais. Il y a 20 ans, cette entreprise familiale cultivait des fruits et des légumes pour le marché local. Aujourd’hui, elle produit jusqu’à 15 tonnes de fraises par jour, qu’elle conditionne et exporte vers le nord. Une réussite qui est à l’image de toute la région. Au cours des dix dernières années, l’Andalousie est devenue le deuxième producteur de fraises au monde derrière les Etats-Unis.
A Séville, Luis Ocana est juriste auprès du Syndicat des ouvriers agricoles. Un syndicat très critique face aux succès de l’agriculture andalouse. Il nous explique : « En Andalousie, on a choisi un modèle de croissance qui a concentré la production de façon très marquée. Surtout dans deux provinces que sont Huelva et Almeria. On y pratique une agriculture intensive, sous plastique et, dans beaucoup de cas, on s’est inspiré du modèle de la production industrielle. Bien évidemment, cette situation a généré toute une série de conséquences pour la main d’œuvre. »
En Andalousie, la province d’Almeria s’est spécialisée dans la culture de tomates, courgettes et poivrons. C’est là que se trouve El Hejido. En 2000, des émeutes raciales y mettaient brutalement en lumière les conditions de vie des ouvriers marocains.
Les fraises, quant à elles, sont produites à 95% dans la province de Huelva, dans une région qui s’appelle la Costa de la luz, la côte de la lumière. Les journées y sont longues, même en hiver. La température moyenne est de 18 degrés et le sol sablonneux facilite le drainage des eaux. Ces conditions idéales permettent de récolter les premières fraises en janvier.
Mais pour s’imposer sur des marchés situés à plus de 2000 kilomètres de là, la fraise espagnole ne devait pas seulement être précoce, elle devait aussi être bon marché. Alors, pour comprimer les coûts, ceux qui exportent les fraises, importent la main d’œuvre.
Les ouvrières viennent de Roumanie et de Pologne. Officiellement, elles sont au bénéfice d’un permis temporaire de travail délivré par le gouvernement. Officiellement toujours, elles gagnent 44 francs par jour pour un minimum de 7 heures de travail et une demi-heure de pause à midi, soit 7 francs de l’heure. Officiellement donc, le salaire est maigre. Mais, dans la réalité, ces contrats sont rarement respectés.
Le rythme des récoltes dépend des commandes effectuées chaque jour par les chaînes de supermarché du nord. Les producteurs ont donc besoin d’une main d’œuvre très souple, qu’ils emploient au jour le jour, en fonction des besoins du marché.
Historiquement, cette main d’œuvre était recrutée au Maroc. Mais, depuis 3 ans, les producteurs se sont tournés vers l’Europe de l’Est. Les ressortissants de ces pays s’intègrent mieux culturellement, protestent moins et surtout acceptent des salaires dérisoires. Résultat, la paie peut descendre jusqu’à 30 francs pour des journées de 10 heures.
Vicentia Tibulac et Jorge Garcia sont tous deux ouvriers agricoles. Il est espagnol et syndicaliste. Elle appartient à un contingent de 7000 femmes négocié cette année entre les gouvernements roumain et espagnol.
Jorge Garcia déplore les abus des producteurs car tout le monde cherche du travail. Il se souvient qu’il y a trois ans, il y avait 3000 ouvriers et qu’aujourd’hui, on en dénombre 20 000.
En recevant son premier salaire, Vicentia Tibulac a constaté que le montant ne correspondait pas au contrat. Comme elle était la seule à parler l’espagnol, c’est elle qui a protesté. Ce qui lui a valu d’être licenciée.
Jorge Garcia confirme ce genre de pratique : « Ici, à Huelva, ça arrive souvent. Car les producteurs n’ont pas la mentalité d’entrepreneur, mais plutôt celle de fermier andalou, une mentalité féodale. Le patron peut faire ce qu’il veut avec les ouvriers qu’il engage. »
En plus des 20 000 ouvriers sous contrat de travail, on estime à 30 000 le nombre de clandestins dans la région.
Après l’interview, Jorge Garcia nous a conduits en bordure des plantations où se trouve une chabola, un bidonville. Sous les mêmes plastiques qui protègent les fraisiers, vivent 500 hommes. Ils sont venus du Mali, de Guinée ou d’Ouganda. Ils ont traversé clandestinement le détroit de Gibraltar. Certains vivent là depuis deux mois. Ces hommes ne possèdent rien, si ce n’est la capacité d’attendre une hypothétique embauche, pour quelques jours ou quelques heures.
Des campements comme celui-ci, il en existe plusieurs, regroupant les hommes par région d’origine : africains, arabes ou encore slaves.
La politique actuelle des grands distributeurs à l'échelle européenne ne fait que renforcer la misère de ces travailleurs. Les supermarchés veulent des fraises hors saison, à la demande, en fonction, par exemple, des prévisions de vente dans leurs rayons et pas chères. Le reste ne les intéresse pas. Cette pression, les producteurs la répercutent sur les acteurs les plus faibles de cette chaîne: les ouvriers agricoles.
Jusqu'à quel point sommes-nous complices de cette situation? Faut-il renoncer aux fraises avant juin? Est-ce qu'en payant un peu plus cher cela changerait quelque chose?
DES REPRESENTANTS DE COOP ET DE MIGROS SONT VENUS SUR LE PLATEAU REPONDRE A CES QUESTIONS. UNIQUEMENT DISPONIBLE EN VIDEO.